La cour de cassation se prononcera sur la conformité au droit des
arrêts rendus à Bordeaux et à Paris (sur le fond, les juges des cours d’appel sont souverains). A l’audience du 25 mars, les plaidoiries furent donc centrées sur des questions juridiques. Les enjeux financiers étaient pourtant bien présents les propos des avocats des employeurs.

Les avocats de ZF Masson et d’Alsthrom soutinrent que l’Allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante était une « création circonstancielle due à l’imagination de Claude Got pour répondre à un climat émotionnel ».


Un « régime de faveur » pour « ceux qui ont peur d’être malades » ?

L’Acaata est, selon eux, un « régime de faveur » tout à fait « spécifique », indemnisant non pas des malades, mais des gens qui « ont peur d’être malades ». Il ne s’agit pas d’un préjudice, mais d’un « risque aléatoire de préjudice » qui était donc « exclusif » d’une indemnisation complémentaire relevant du droit commun.

Ils présentèrent la cessation d’activité comme une « décision volontaire » du salarié prenant l’initiative de rompre son contrat de travail en démissionnant.

Ils expliquèrent qu’on ne peut demander à l’employeur d’indemniser les pertes financières résultant du départ en Acaata, puisque « ce n’est pas l’exposition au risque qui interdit une reprise d’activité, c’est la loi ».

Ils présentèrent même la perte de revenus comme une nécessité économique : sans elle « nul n’aurait plus intérêt à travailler », ce qui risquerait de « faire exploser un système qui explose déjà »


La conséquence d’une faute de l’employeur, qui doit être réparée

Maître Lyon-Caen, défenseur des salariés, releva qu’un élément essentiel était passé sous silence :

« Les employeurs qui ont exposé en toute connaissance de cause des salariés à l’amiante, en sachant que ce produit était dangereux, ont commis une faute. En application d’un principe constitutionnel, ils doivent réparer cette faute ».

Il rappela qu’en créant ce système le législateur avait exprimé la volonté de « réparer un dommage », qui se traduisait par « diminution de l’espérance de vie » due « au risque de contracter une maladie grave, de 10 à 40 ans après l’exposition ».

Il souligna « qu’aucune disposition de la loi n’excluait la possibilité d’agir contre l’employeur pour lui demander une réparation complémentaire. »

Réfutant l’argumentation selon laquelle « on ne peut indemniser qu’un sinistre et non un risque », il souligna que la cessation anticipée d’activité amiante s’apparente à un système de pré-retraite et non à une assurance-vie !

Il rappela que la notion d’obligation de sécurité de résultat s’imposait à l’employeur et qu’elle était au centre de toute la jurisprudence récente de la cour de cassation.
Il rappela que la Cour de cassation venait d’accorder des dommages et intérêts pour une hépatite C susceptible de connaître une évolution grave et pour un non-respect de l’interdiction de fumer, au vu d’un risque de dommage résultant d’une faute de l’employeur, et sans que le dommage ne soit réalisé. Pour les salariés ayant inhalé des fibres d’amiante un « préjudice spécifique de contamination » générateur d’anxiété devrait donc être pris en compte.

Il indiqua que la démission d’un salarié désireux de bénéficier de l’Acaata n’avait rien à voir avec une démission classique en droit du travail. Il s’agissait en fait d’une « démission provoquée », d’un « choix par défaut ».

 


Un préjudice économique non contestable, mais non indemnisable ?

Puis ce fut au tour de l’avocat général de prendre la parole. Sans reprendre la totalité des arguments avancés par les avocats des employeurs, il demanda à la cour de casser les arrêts des cours d’appel de Bordeaux et de Paris concernant l’indemnisation du préjudice économique.

Il estima que l’existence d’un tel préjudice «  ne saurait être contestée ».

Il considéra que le régime de cessation anticipée d’activité n’était pas forcément « exclusif » d’une indemnisation complémentaire relevant du droit commun.

Mais il soutint que la rupture du contrat de travail était à l’initiative du salarié démissionnaire conformément à la loi, en l’absence de vice de consentement ou de requalification de cette rupture. Il estima qu’en conséquence, il n’y avait « pas de lien de causalité entre la faute et le préjudice » et que le préjudice économique ne saurait être indemnisé.

 


Vers la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété ?

Hostile à la réparation d’un préjudice économique, l’avocat général considéra qu’il « était davantage permis d’hésiter sur le préjudice d’anxiété ».

Il posa la question : « la crainte de voir se développer « à bas bruit » une maladie professionnelle, dans un délai de 10 à 20 ans s’agissant de l’asbestose, ou de 30 à 40 ans s’agissant de mésothéliome, ne constitue-t-elle pas un préjudice entièrement distinct du préjudice économique ? »

Il souligna que la jurisprudence récente « retenait une conception extensive de la notion de préjudice » en définissant par exemple le préjudice d’agrément comme un « préjudice subjectif de caractère personnel, résultant des troubles ressentis dans les conditions d’existence ».

Au vu de ce constat, il s’interrogea : «  N’est-il pas dans la logique de l’obligation de sécurité de résultat que le manquement fautif de l’employeur non contesté, qui a exposé ses salariés à inhaler des poussières d’amiante, justifie qu’il soit condamné à indemniser ceux-ci de l’anxiété créée par le présence dans leurs poumons d’un facteur de contamination et par les conséquences de cette présence dans la durée, dès lors que la pathologie est appelée à se déclarer seulement de façon tardive ? »

Il cita le rapport Le Garrec évoquant « l’angoisse dans laquelle vivent les salariés qui ont fait le même travail qu’un compagnon « attrapé » par le mésothéliome » qui «  en parlent généralement avec une grande pudeur, qui cache un trouble d’anxiété, selon les mots du professeur Got »

Il dit qu’une indemnisation de ce préjudice serait dans « dans la ligne » des recommandations du comité des ministres du conseil de l’Europe.

Les membres des associations venus à Paris, dont la majorité sont restés dans les couloirs sans pouvoir suivre les débats, sont rentrés chez eux.

Ils attendent, avec un mélange d’inquiétude et d’espoir, l’arrêt que rendra la cour le 11 mai.

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°32 (mars 2010)