Il est rare de voir un texte signé par tant d’associations représentatives dans les domaines les plus divers (malades, handicapés, victimes du travail, défenseurs de l’environnement ou de la santé publique, consommateurs, petits actionnaires, syndicats de magistrats).

Toutes ont en commun le refus de voir le pouvoir enterrer des dossiers sensibles, où seraient impliqués des représentants des responsables politiques ou économiques.
Elles ont tenu à le dire ensemble, en s’adressant publiquement au chef de l’Etat.

 


Monsieur le Président,

Le 7 janvier 2009 vous annonciez votre souhait de réformer la procédure pénale et de supprimer le juge d’instruction. Ce projet vient d’être présenté au conseil des ministres par la ministre de la justice, Madame Michèle Alliot-Marie, après une élaboration en petit comité par la Chancellerie, sans aucune concertation.

Ce projet constitue une régression pour les droits des victimes, et plus généralement de tous les justiciables, en ce qu’il prévoit de remplacer pour la conduite des enquêtes, le juge d’instruction, magistrat indépendant, par le procureur, magistrat dépendant hiérarchiquement du Ministre de la Justice.

Le fait que le magistrat dirigeant l’enquête soit sous la dépendance du pouvoir politique n’apportera en soi aucune efficacité supplémentaire pour le justiciable, ni aucune garantie d’équité pour les citoyens. Mais il aura pour conséquence immédiate de permettre au pouvoir politique, quel qu’il soit, de contrôler les enquêtes, de bloquer celles qui le gênent et d’instrumentaliser celles qui l’arrangent.

Cela concerne au premier chef toutes les affaires où les pouvoirs publics sont parties prenantes, qu’il s’agisse de dossiers de santé publique ou politico-financiers.

Cela concerne aussi les affaires mettant en jeu des intérêts économiques ou politiques que l’Etat pourra vouloir faire primer sur l’intérêt du justiciable et de la justice : environnement, consommation, terrorisme, etc. Mais les affaires courantes ne seront pas épargnées, le parquet bénéficiant à l’avenir du pouvoir exclusif de qualifier ou de disqualifier les faits. En définitive, ce projet risque de renforcer la suspicion des citoyens vis-à-vis de leur justice et d’aboutir à une perte de confiance généralisée dans l’un des piliers de la démocratie.

La Commission d’Enquête Parlementaire dite d’Outreau, après un travail minutieux de plusieurs mois et une très large concertation, avait clairement rejeté l’idée de la suppression du juge d’instruction au profit de la collégialité de l’instruction, meilleure garante des droits des parties et de l’enquête à charge et à décharge. La loi du 5 mars 2007, votée à l’unanimité par le parlement a instauré le principe du travail en équipe des magistrats instructeurs et le renforcement du contradictoire. Cette loi n’est toujours pas entrée en application.

L’assemblée parlementaire du conseil de l’Europe, par une résolution récente, a demandé à la France d’abandonner ce projet de réforme, sauf à l’accompagner d’une modification du statut du parquet, pour rendre les procureurs indépendants du pouvoir exécutif.
Nous vous demandons de renoncer au projet de suppression du juge d’instruction au profit d’une réforme de la procédure pénale retenant les principes suivants :
- Direction effective de l’enquête par une collégialité de magistrats statutairement indépendants du pouvoir politique, dans le respect du principe de séparation des pouvoirs :
- Renforcement du contrôle de l’enquête par une juridiction de second degré, disposant de moyens suffisants pour un contrôle efficace ;
- Renforcement du contrôle de l’enquête par les parties elles-mêmes, par l’augmentation de leurs droits et de l’effectivité de ceux-ci, ce qui suppose un accroissement conséquent du budget de l’aide juridictionnelle et des modalités plus souples d’intervention des associations de défense des victimes.

Compte tenu de l’importance des enjeux de cette réforme de la procédure pénale et de ses conséquences pour les justiciables et plus particulièrement pour les victimes, nous vous demandons de bien vouloir nous recevoir afin que nous puissions vous présenter nos arguments.

Dans l’attente, nous vous prions d’agréer, Monsieur le président, l’expression de notre plus haute considération.

 


LISTE DES PREMIERS SIGNATAIRES

ADAM - Association de Défense des Actionnaires Minoritaires
AFP - Association Française des Polyarthritiques et des Rhumatismes Inflammatoires Chroniques
AfVT - Association française des Victimes du Terrorisme
ANDEVA - Association Nationale de Défense des Victimes de l’Amiante
ANPIHM - Association Nationale Pour l’Intégration des Handicapés Moteurs
APF - Association des Paralysés de France
CISS - Collectif Interassociatif Santé
CNAFAL - Conseil National des Associations Familiales Laïques
Comité Anti-Amiante Jussieu
FGPEP - Fédération Générale des PEP
CSF - Confédération Syndicale des Familles
FNATH - Association des Accidentés de la Vie
FNE - France Nature Environnement
Greenpeace
INDECOSA- CGT - Association pour l’Information et la Défense des Consommateurs Salariés
LIEN - Association de lutte, d’information et d’étude des infections nosocomiales
ORGECO - Organisation Générale des Consommateurs
AFMI - Association Française des Magistrats Instructeurs
USM - Union Syndicale des Magistrats

 


RÉFORME DE LA PROCÉDURE PÉNALE

UN « MONSTRE JURIDIQUE »

«  Si ce projet de loi voit le jour en l’état, il restera dans les annales comme un monstre juridique sans équivalent à ce jour et comme une formidable régression de l’état de droit dans notre pays.  »

C’est en ces termes que l’Andeva, le comité anti-amiante Jussieu et la Fnath ont décrit les enjeux du projet présenté par la ministre de la Justice.

Supprimer le juge d’instruction indépendant pour le remplacer par un magistrat du Parquet, qui dépend directement du pouvoir politique serait une régression non seulement « pour les droits des victimes » mais aussi « pour tous les justiciables », soulignent 17 associations dans une lettre ouverte au président de la République.

Ce projet doit être mis en échec.

 


CURIEUSE CONCERTATION

 

Mardi 2 mars : l’agenda de Michèle Alliot-Marie annonce une rencontre « avec les associations des victimes dans le cadre de la concertation sur la réforme de la procédure pénale".

Ni l’Andeva, ni la Fnath, ni l’Association française des victimes du terrorisme, pourtant concernées au premier chef par les conséquences de cette réforme, n’ont été conviées !

« Cet oubli significatif est à l’image d’une réforme, dont le seul objectif est de mettre en musique la volonté du président de la République de supprimer le juge d’instruction indépendant et de le remplacer par un magistrat dépendant du pouvoir politique », ont indiqué l’Andeva, la Fnath et le comité anti-amiante Jussieu dans un communiqué commun. Cette réforme permet au pouvoir politique de «  s’immiscer dans l’instruction d’affaires particulières avec à la clé une suspicion généralisée et une perte de confiance dans la justice. »
Les trois associations « demandent que l’instruction soit confiée à un magistrat indépendant du pouvoir politique et font remarquer que cette disposition est tout à fait compatible avec le reste de la réforme notamment le contrôle par le Juge de l’Enquête et des Libertés (JEL) et l’introduction d’une partie citoyenne. »


Article paru dans le bulletin de l’andeva n°32 (mars 2010)