Telle est la dédicace du livre réalisé par Vincenzo, photographe, fils d’un immigré italien disparu d’un cancer du poumon en 2006.
Antonio avait quitté le Sud de l’Italie vers la fin des années 50. « Une valise, un harmonica et un petit couteau de poche et il prit le train pour la France, sans connaître la langue ».

Embauché à Creusot-Loire, il respira comme ses collègues, des fibres mortelles, sans même en connaître les dangers. Le cancer devait le rattraper, quelques décennies plus tard.
Cinq mois avant son décès, d’une voix fatiguée par la maladie, il disait à son fils qui venait de le photographier, qu’il pouvait «  raconter par l’image l’injustice et le terrible drame qui s’abattait sur les ouvriers et leur famille ».

Vincenzo a donc écrit ce livre pour les générations futures : pour qu’elles gardent la mémoire des voix et des visages de ceux, dont l’amiante a si souvent brisé la vie.
Réalisé avec le soutien et la participation des adhérents du Caper Bourgogne, l’ouvrage réunit des témoignages recueillis en Saône-et-Loire de 2007 à 2009.
Il se clôt par une saisissante série de portraits d’ouvriers et d’épouses, photographiés sobrement sur fond noir. « Les récits qui accompagnent ces portraits, écrit Anne-Cécile Marchand dans la préface, sont autant de preuves tangibles de ce qui est arrivé. Désormais, on ne pourra plus le nier : ceux qui ont sciemment plongé les hommes au cœur de cette poussière sont des criminels ».

Pour ne pas trahir la parole de ces témoins anonymes, Vincenzo a choisi de retranscrire le plus fidèlement possible leurs témoignages, avec les mots qui se cherchent quand sont revécus les moments douloureux, ou qui s’entrechoquent avec violence quand l’indignation devant le cynisme d’un patron ou la morgue d’un « expert » les submerge.
Au fil de ces témoignages se dessinent les contours d’un monde du travail marqué par la violence des rapports sociaux chez Éternit : « Jamais ils n’ont pensé à leurs salariés en tant qu’êtres humains, mais uniquement en tant que force de production, dit une femme évoquant son père disparu. C’est pourquoi ils les faisaient travailler immergés dans cette poussière d’amiante qui les recouvrait des pieds jusqu’à la racine des cheveux, poussières qu’ils ramenaient chez eux le soir, afin que leurs épouses puissent laver les bleus. »
On découvre les critères cyniques du « dégraissage » de 1984, où les malades furent parmi les premiers licenciés...
L’ignorance du danger : « On cassait la croûte sur la pile de plaques d’amiante, on posait même le casse-croûte dessus »…
Le chantage à l’emploi de ceux qui disaient : « vous allez faire fermer l’usine ». 

Le livre ne dissimule rien des souffrances physiques et morales subies par les victimes et leurs proches, confrontées à l’annonce de la maladie, à la lourdeur des traitements, aux épreuves de l’accompagnement de fin de vie et du deuil.
Mais on y sent aussi l’importance de l’aide que le Caper a su apporter à des personnes en grande difficulté, qui ont pu remonter la pente et prendre toute leur place dans un combat collectif.
Une femme évoque les dernières recommandations de son père : « Il nous a dit de continuer à nous battre en son absence, non seulement pour faire reconnaître nos droits, mais aussi pour défendre les copains et puis pour que les responsables arrêtent de tuer ! »


Article paru dans le bulletin de l’andeva n°32 (mars 2010)