Il y a trois bonnes raisons de procéder à cette annulation :

1) Il prévoit des dérogations sur les immeubles de grande hauteur (malgré l’opposition du Conseil supérieur de la Santé).

2) Il n’abaisse pas la valeur limite d’exposition et oublie les fibres courtes (malgré les recommandations de l’Afsset).

3) Il autorise certaines communes corses à dispenser les propriétaires de mesures d’empoussièrement et de travaux dans des zones amiantifères (malgré un rapport alarmant de l’Anses)

Publié au journal officiel du 5 juin, le décret sur « la protection de la population contre les risques sanitaires liés à une exposition à l’amiante dans les immeubles bâtis » remplace les dispositions du Code de la Santé existantes.

Une prime à des retardataires passibles de sanctions pénales

Un décret de septembre 2001 avait donné trois ans aux propriétaires d’immeubles pour réaliser des travaux de désamiantage ou de confinement, en cas présence de flocages, calorifugeages et faux-plafonds dégradés. Mais il avait aussi introduit la possibilité pour les immeubles de grande hauteur et les établissements recevant du public de deux dérogations successives de 3 ans. Cette dérogation laxiste avait été contestée à l’époque par l’Andeva et le comité anti-amiante Jussieu.

Le décret du 3 juin 2011 va encore plus loin : au lieu de sanctionner les retardataires qui auront dépassé le délai de 9 ans, il les blanchit en autorisant une nouvelle dérogation… non limitée dans le temps !

Consulté sur cette disposition, le Haut conseil de santé publique (HSCP) : « émet un avis défavorable sur l’introduction (…) de dispositions qui tendraient à prolonger encore le délai de réalisation des travaux de désamiantage au-delà de la période de six ans déjà prévu par la réglementation actuelle ».

Le Haut conseil juge « opportuniste » un texte dont le seul but est « d’assurer la sécurité juridique » des retardataires. Il se demande même « si des délais abusifs ne relèveraient pas plutôt de sanctions au titre de négligences ayant pu produire la mise en danger de la vie d’autrui dès lors que les occupants ont pu être exposés à des fibres d’amiante ».

Valeur limite obsolète, fibres courtes oubliées

Le niveau résiduel d’empoussièrement autorisé dans les bâtiments est actuellement de 5 fibres d’amiante par litre d’air.
Cette valeur avait été définie sur la base du bruit de fond de la pollution mesuré en région parisienne dans les années 70. Or celui-ci était passé à 0, 47 fibres au début des années 90. Cette diminution d’un facteur 10 rend une réactualisation incontournable .

Dans un rapport de février 2009, l’Agence française de Sécurité sanitaire pour l’environnement et le travail (Afsset) a recommandé d’abaisser cette valeur à 0,5 fibre par litre.

Deux ans après ce rapport officiel, demandé en 2005 par trois ministères (écologie, travail, santé) le décret reprend imperturbablement la valeur obsolète de 5 fibres par litre !

Le rapport de l’Afsset a aussi abordé la question des fibres courtes (FCA) que l’actuelle réglementation actuelle n’impose pas de mesurer. L’Agence constate que les fibres courtes sont « systématiquement présentes en quantité importante », chaque fois qu’elles sont comptées en métrologie. Sachant que leur cancérogénicité ne peut être écartée, elle a recommandé « une mesure spécifique des FCA pour évaluer la dégradation du matériau ». Le décret du 3 juin n’en souffle mot : « FCA ? Connais pas ! ».

Dérogation sur les mesures d’empoussièrement en Corse

En Corse et en Nouvelle Calédonie des roches amiantifères affleurent à l’état naturel, ce qui expose les populations à des risques particuliers.
Un rapport de l’Agence nationale de Sécurité sanitaire (Anses) d’octobre 2010 évoque des situations alarmantes, comme celle du village corse de Murato où « la concentration massique en fibres trémolitiques est 40 fois plus élevée à l’intérieur des habitations » que dans le village contrôle de Vezzani. A Murato « 41 % de la population des plus de 50 ans examinés présentaient des plaques pleurales »…
Au lieu de prévoir des mesures de prévention renforcées pour ces régions à haut risque, le décret indique : « Dans les communes présentant des zones naturellement amiantifères, il peut être dérogé aux obligations de mesures d’empoussièrement et, le cas échéant, de travaux (…) ainsi qu’aux obligations de mesures d’empoussièrement à l’issue des travaux ».
Sous prétexte qu’une part de la pollution est extérieure aux bâtiments, le ministère autorise certaines communes à dispenser par arrêté les propriétaires d’effectuer des mesures d’empoussièrement et des travaux, là où ils seraient le plus nécessaires.

Au lieu d’évaluer et d’agir sur les risques, on prive la population de la connaissance indispensable du niveau de pollution dans les habitations.
Une démarche qui caressera sans doute dans le sens du poil les promoteurs et les industriels du bâtiment, très puissants en Corse, mais qui tourne le dos aux exigences les plus élémentaires de santé publique.

Le gouvernement doit absolumentrevoir sa copie

Ce décret a été adopté illégalement sans consultation du Conseil d’Orientation sur les Conditions de Travail (COCT). Il doit être revu et corrigé, en y incluant les mesures de prévention qui lui font défaut.
Un recours en conseil d’Etat a aussi été déposé par Ban Asbestos.


Définition

Immeubles de grande hauteur  :

- Les immeubles
d’habitation de plus de
50 mètres

- Les immeubles
de bureau de plus de
28 mètres


Fibre Courte d’amiante (FCA) :

- Longueur (L) :
inférieure à 5 microns

- Diamètre (D) :
inférieur à 3 microns.

- Rapport L / D :
supérieur ou égal à 3

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°36 (septembre 2011)