Cinq ouvriers portent plainte contre la SLN devant le tribunal du travail

Cinq salariés victimes de l’amiante ont porté plainte contre la Société Le Nickel (SLN) devant le tribunal du travail. Tous sont atteints d’une maladie due à l’amiante.
Ils reprochent à leur employeur de ne les avoir ni informés ni protégés, alors qu’il connaissait les dangers de l’amiante.
Maître François Lafforgue, venu de Paris pour assurer leur défense, a réclamé une condamnation exemplaire, afin de rappeler l’employeur à ses obligations de prévention.
Ce procès signe la fin de la pesante omerta sur la question de l’industrie du nickel et de l’amiante en Nouvelle-Calédonie.

« C’est la fin d’une omerta que la puissance économique de l’industrie du nickel et la complicité des autorités locales ont faire durer des décennies »

Le procès qui s’est ouvert le 29 juillet au tribunal de Nouméa a fait à juste raison figure d’événement.

« C’était la première fois que des ouvriers engageaient une action en faute inexcusable de l’employeur contre la SLN, filiale du groupe français Eramet », explique André Fabre, président de l’Adeva NC. sans la ténacité duquel ce procès n’aurait pas eu lieu.

Ecouté avec beaucoup d’attention par la présidente, maître Lafforgue a plaidé durant deux heures. Dans la salle d’autres malades de l’amiante étaient venus apporter leur soutien.

La SLN savait que l’amiante était dangereux

Le cas de chacun des cinq plaignants est éclairant : « Certains ont travaillé comme conducteurs d’engins d’extraction, de terrassement ou de transport de minerai de nickel, d’autres dans l’usine de fusion, explique François Lafforgue. Tous sont reconnus en maladie professionnelle. Une personne est décédée, deux sont atteintes d’un cancer, un souffre d’asbestose, un autre a des plaques pleurales ».

« Les risques de l’activité minière sont importants car l’amiante et le nickel sont géologiquement liés, indique André Fabre. Des conducteurs d’engins ont été fortement exposés dans les mines. Mais le risque amiante est aussi présent dans l’activité industrielle de la SLN : trois de ces cinq salariés travaillaient à l’entretien des installations de l’usine. Les ouvriers qui faisaient des soudures sur les fours utilisaient des matelas d’amiante pour se protéger de la chaleur. Pour sortir ces matelas isolants du magasin de l’entreprise, il fallait un bon du médecin du travail ! C’est bien la preuve que la SLN savait que l’amiante était un matériau dangereux. Notre avocat a fait le parallèle avec la situation de certaines industries métallurgiques en métropole, comme chez Aubert et Duval, une entreprise appartenant au même holding qui a été condamnée ».

A l’audience, François Lafforgue fait un état précis de la jurisprudence et rappelle que pèse sur l’employeur une obligation de sécurité de résultat à laquelle il ne peut se soustraire. Une obligation que la SLN n’a pas remplie puisqu’elle n’a ni informé ni protégé ses salariés.

Elle ne peut soutenir qu’elle ignorait alors un danger dont l’existence était démontrée par divers rapports, dont celui que le BRGM (Bureau d’études géologiques et minières) a publié en 1981.

François Lafforgue a rappelé qu’en Nouvelle Calédonie, il y a un an, Dumez, une entreprise du BTP, avait été condamnée. Il a demandé une peine exemplaire pour la SLN. Sa condamnation aura valeur d’exemple et incitera les employeurs à renforcer les mesures de prévention. « Si rien ne change, a averti François Lafforgue, il y aura de nouveaux malades dans trente ans. »

Les bouches s’ouvrent enfin à la SLN

Ce procès a été bien relayé par la presse et la télé de l’île.

« C’est la fin d’une omerta entretenue par la SLN avec la complicité des autorités locales, se félicite André Fabre, une omerta que le poids économique de l’industrie du nickel a permis d’entretenir pendant des décennies. En matière de santé publique, cette omerta a entraîné une négation du risque pour les populations exposées à l’amiante à l’état naturel environnemental. »
Aujourd’hui, à la SLN, les bouches s’ouvrent et tous les problèmes commencent à être posés publiquement : les conditions de travail et la protection des salariés, le suivi médical qui devrait utiliser le scanner pour être efficace, l’indemnisation des victimes.

Dans le mouvement syndical aussi, les mentalités évoluent. La sensibilité au problème de l’amiante est aujourd’hui beaucoup plus grande que par le passé.

 

 

L’amiante à l’université

Une centaine de personnes étaient venues écouter François Lafforgue à la Fac de Nouméa.

La salle était bien remplie pour écouter une conférence sur « l’indemnisation des victimes de l’amiante : regards croisés Métropole-Nouvelle Calédonie. »

François Lafforgue a souligné l’inégalité flagrante dans ce domaine : « Les victimes environnementales ne peuvent toujours pas être indemnisées. En 2000 l’État a créé un fonds spécialement pour elles : le Fiva. Une ordonnance prise par l’État français en 2009 permet aux victimes calédonienne d’avoir recours à ce fonds pour être indemnisées. Il ne reste plus au gouvernement calédonien qu’à en organiser les modalités pratiques avec le Fiva. Depuis 2009, rien n’a été fait. Les victimes attendent toujours ».

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°36 (septembre 2011)