« La recherche sur les maladies de l’amiante a pris un nouvel élan »

Daniela Degiovanni soigne des malades atteints de mésothéliomes depuis plus de 30 ans. Elle dirige la maison de soins palliatifs créée il y a trois ans à Casale Monferrato pour les malades en phase terminale.

Quelle est votre action ?

Je me suis occupée de mésothéliomes et d’autres maladies liées à l’amiante depuis plus de 30 ans : d’un point de vue médico-légal en tant que consultante de la Cgil et comme oncologue à l’hôpital de Casale. Avec Bruno Pesce et Nicola Pondrano, je suis intervenue lors d’actions judiciaires contre l’INAIL [la Sécurité sociale italienne] qui refusait de reconnaître des mésothéliomes en maladie professionnelle. Comme oncologue je suis les patients qui viennent à l’hôpital pour des visites ou pour des soins.

En 30 ans, j’ai connu pratiquement tous les Casalais atteints d’un mésothéliome. Dans cette ville les oncologues, les radiologues, les anatomopathologistes, les généralistes sont devenus des experts, ayant une expérience approfondie de cette maladie, car la fréquence de ces tumeurs y est bien plus élevée que dans le reste de l’Italie.

Quel est ici le nombre de mésothéliomes ?

Le mésothéliome est une maladie rare. L’incidence moyenne est d’un cas pour 100 000 habitants en Italie. A Casale, il y a eu pendant des années 30 à 35 nouveaux cas par an. C’est un chiffre énorme pour une ville de 35 000 habitants…

Depuis 4 ou 5 ans le nombre de mésothéliomes augmente. On atteint près de 50 nouveaux cas par an. A Casale il y a un cas de mésothéliome par semaine ! L’âge des personnes touchées a baissé. La moitié des patients a entre 50 et 55 ans. Le plus jeune avait 34 ans. Le temps de latence du mésothéliome peut atteindre 50 ans. Ces patients étaient enfants il y a 40 ou 50 ans, quand la production et la pollution environnementale d’Eternit étaient à leur maximum. Les enfants ont un système immunitaire plus fragile que les adultes. Cela explique la vague de mésothéliomes qui frappe cette génération.

La recherche a-t-elle progressé en 30 ans ?

Il y a dix ans, il n’y avait pratiquement aucune recherche sur le traitement du mésothéliome. Comme pour d’autres maladies rares, les financements étaient réduits.

La fréquence des mésothéliomes s’est accrue et la recherche a commencé à se développer, y compris dans des pays où il n’y a eu ni usines ni mines d’amiante, mais où l’amiante a été utilisé.

Aujourd’hui, il est démontré que l’association de deux médicaments a pour effet une certaine réduction de la masse tumorale. Nous ne pouvons affirmer aujourd’hui que cela allonge significativement la survie, mais ce premier résultat a incité des chercheurs à travailler cette question.

Plusieurs centres de recherches privés et publics ont commencé à élaborer et expérimenter de nouveaux médicaments, qui sont en phase d’essais cliniques. Nous ne sommes pas en mesure d’évaluer leurs résultats. En tirer des conclusions prématurées serait courir le risque de donner des espérances illusoires aux patients. Mais nous pouvons délivrer un message positif : les recherches ont un nouvel élan, des essais sont en cours. On peut espérer la découverte dans un avenir proche de traitements qui ralentissent l’évolution de la maladie.

La recherche fondamentale a-t-elle progressé ?

Elle est plein développement dans le monde entier, en particulier aux Etats-Unis. Des chercheurs étudient l’évolution de la maladie ; d’autres recherchent des marqueurs biologiques pour un diagnostic plus précoce. Le problème de ce type de recherche est qu’il doit avancer du même pas que la recherche de médicaments. Savoir faire un diagnostic précoce sans avoir de traitement précoce efficace, ce n’est pas résoudre le problème, c’est anticiper l’anxiété sans anticiper le traitement...

Comment les Casalais vivent-ils cette vague de mésothéliomes ?

Casale est une petite ville. Tout le monde se connaît. Chacun a eu un parent, un voisin, un ami touché par un mésothéliome. Les malades connaissent l’évolution de la maladie. Certains ont fait eux-mêmes le diagnostic, avant de voir le médecin. Quand un Casalais a une douleur dans la poitrine ou une toux résistante aux antibiotiques, sa première pensée est qu’il a un mésothéliome.

Il y a deux ans, une équipe de psychologues de l’Université de Turin a fait une étude qui montre que beaucoup de Casalais sont victimes d’un véritable stress post-traumatique, comme les survivants de Tchernobyl. On retrouve la même anxiété, la même peur de tomber malade.

Tout cela, je l’ai vécu, jour après jour, depuis 30 ans, aux côtés des malades et des familles. J’ai vu les douleurs que peut provoquer le mésothéliome et la difficulté à les soulager, j’ai vu la détresse due à l’insuffisance respiratoire, j’ai vu l’angoisse des patients qui savent qu’ils n’ont pas un cancer comme les autres et voient leur espérance de vie raccourcie...

Pourquoi une maison des soins palliatifs ?

En 30 ans, j’ai acquis la certitude que le mésothéliome est une des tumeurs les plus chargées de souffrances physiques et psychologiques.

Je me suis forgé une conviction : la prise en charge de cette maladie ne peut se réduire à essayer des chimiothérapies ou d’autres traitements. Elle doit couvrir un champ plus vaste : Il s’agit de prendre soin des malades et pas seulement de soigner leur maladie. Nous devons prendre en charge leur peur de la mort.

Depuis 15 ans nous avons formé une équipe (infirmières, médecins, psychologues, physiothérapeutes) qui a acquis une expertise dans ce type de pathologie. Elle travaille avec VITAS, une association de volontaires, qui collecte des fonds et défend la culture des soins palliatifs. Depuis 1996, elle a pris en charge près de 2500 patients atteints de cancers, dont 550 malades de mésothéliomes.

Les derniers mois de vie sont très lourds pour les malades et leur entourage. Nous les suivons soit à domicile quand les proches sont en mesure de supporter la charge physique et émotionnelle de la phase terminale, soit dans la maison des soins palliatifs, lorsqu’ils sont âgés ou vivent seuls.

Cette structure est le chaînon manquant qui « boucle la boucle ». Nous prenons en charge le patient dès le moment où il arrive en oncologie pour des soins et nous l’accompagnons jusqu’aux derniers mois de vie. Rendre la solitude d’une personne qui approche de sa fin moins pesante, c’est notre but.

Comment cette prise en charge est-elle financée ?

En Italie, notre système de santé publique s’effondre. Il n’y a pas d’argent pour investir dans ce type de structure d’assistance. C’est grâce aux financements trouvés par l’association VITAS, que nous avons pu offrir à nos malades un service de physiothérapie, une psychologue à domicile, un jardin thérapeutique. Le volontariat prend en charge des services que la Santé publique n’assure plus.

Cette approche remet en question la pratique médicale traditionnelle.

La fréquence des mésothéliomes a suscité une réflexion éthique dans la population et chez les médecins de Casale. Elle nous a conduit à créer un ensemble de structures complémentaires pour que nos malades ne soient jamais laissés seuls.

J’ai reçu ce matin pour la première fois deux personnes atteintes d’un mésothéliome. J’étais accompagnée par la psychologue et par une infirmière. Nous avons parlé pendant deux heures avec eux et leurs proches. On pourrait dire que c’est du temps perdu, puisque nous n’avons fait que parler, sans aucun acte concret. En fait ces deux heures sont les plus importantes de leur parcours médical. Nous leur avons expliqué qu’elles seraient accompagnées jusqu’au bout par les mêmes personnes, aussi bien à l’hôpital qu’à leur domicile ou dans la maison des soins palliatifs si leur état de santé s’aggrave. Il y a une continuité dans l’aide au patient. Le personnel qui le prend en charge au stade actuel de la maladie ne l’abandonnera plus jusqu’à la fin.

Les médecins doivent comprendre que leur rôle n’est pas seulement de soigner la maladie mais de prendre soin de la personne malade.

C’est une approche qu’on n’apprend pas à l’Université. La majorité des médecins n’y est pas préparée. Elle considère le décès d’un patient comme un signe d’impuissance et d’échec. Nous devons nous former entre nous à cette démarche, avec la sensibilité que développe inévitablement la proximité quotidienne de la maladie et de la mort. L’essentiel est d’abord la qualité de la relation thérapeutique entre le malade et le médecin ou l’infirmière qui prend soin de lui.

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°37 (septembre 2011)