LA VILLE BLANCHE

Il est déjà dans les vignes,
Déchirant la nuit,
Le cri mortifère
Du vent gris.

Il arrive dans la ville
Qui suffoque,
Accablée,
Souillée,
Possédée par l’amiante,

Laconique messager
D’un dernier mépris
Pour nous qui respirons,
Jour après jour,
L’air qui nous tue.


 

Les Casalais ne se résignent pas. Ils veulent libérer totalement leur ville de l’amiante

« La Ville blanche » est l’un des poèmes lus à haute voix pour les manifestants rassemblés devant les grilles de l’usine Eternit, à l’occasion de la journée mondiale des victimes de l’amiante.

Ces vers donnent la mesure de la catastrophe subie par cette petite ville, où — vingt-cinq ans après la fermeture — on compte encore 40 à 50 mésothéliomes par an !

80% des victimes n’ont jamais mis les pieds dans l’usine.

A Casale Monferrato,
l’amiante était partout.

On respirait des poussières d’amiante à tous les postes de travail dans cette usine où Nicola Pondrano, à son premier jour de travail, fut accueilli en 1974 par ces mots terribles d’un vieil ouvrier : « Qu’est-ce que tu viens faire ici ? Toi aussi t’es venu ici pour mourir ? A ton âge ? ». Il avait alors dix-huit ans...

Hors des murs d’Eternit aussi, l’amiante était omniprésent : sur les bleus de travail que les ouvriers ramenaient à la maison, dans les toitures, dans les sacs d’amiante recyclés pour les patates, dans les matériaux au rebut que l’entreprise distribuait généreusement pour faire des dallages et des allées de jardins… Les maisons, les jardins, les rues étaient étaient couvertes d’une fine poussière grise apportée par le vent. Une poussière mortelle…

Sur les ruines de l’Enfer,
un parc du souvenir

Aujourd’hui les habitants de Casale ne se résignent pas à voir leur ville souillée, défigurée par l’amiante. Ils veulent éradiquer totalement ce matériau cancérogène, même si cela doit prendre des années.

L’usine a été désamiantée et démolie. A sa place il y aura un parc du souvenir, avec des arbres et des fleurs.

Comme le dit un autre poème, écrit par Daniela Degiovanni, la cancérologue qui a soigné des centaines de victimes :

Ici surgira près du fleuve
Une colline toute neuve
Où les enfants viendront jouer
Et les anciens se souvenir (…)

Elle surgira sur les vestiges de l’Enfer,
Là où, en toute impunité, des hommes criminels
Jetèrent au feu les espoirs, les cœurs, les vies
D’autres hommes, innocents de tout crime,

L’Enfer où la vie de Mario,
Giovanni, Michel, Lucia
Valait moins que les sacs d’amiante
Qu’ils vidaient, jour après jour...

Les Casalais ne veulent pas seulement sanctionner les responsables de la catastrophe qui a fait de leur cité une ville martyre de l’amiante, Ils sont les porteurs tenaces d’un ambitieux projet d’avenir : faire de Casale une ville libérée de l’amiante.

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°38 (janvier 2012)