Maître Emmanuelle SCHOUTEN (Belgique)
« De Cartier n’était pas un simple comptable »

La défense de De Cartier de Marchienne soutient qu’à la fin des années 60 et au début des années 70 on ne connaissait ni les dangers de l’amiante ni le risque de mésothéliome.

En fait ce risque était établi par les études de Wagner en 1960 et de Selikoff en 1964. Des représentants d’Eternit étaient à la conférence de Caen, où le docteur Wagner présenta ses travaux, à la conférence de New York, où Selikoff présenta les siens et au colloque de Caen sur les risques de l’amiante. Des articles sur « la poussière assassine » ont alors été publiés dans le Sunday Times.

Eternit savait que l’amiante était un poison mortel pour ses salariés, mais aussi pour leur famille et les riverains de ses usines, mais il a mené pendant plus de 20 ans une action lobbying pour cacher le danger à l’opinion publique et aux responsables politiques.

Le docteur Lepoutre, médecin du travail chez Eternit Belgique, dont la mission aurait dû être de veiller à la santé de ses salariés, s’est rendu aux Pays-Bas pour tenter de convaincre le législateur de ne pas durcir la législation sur l’amiante ! Il n’a pas hésité à falsifier les résultats de la conférence de Lyon pour minimiser les risques.

En 1968, l’Association Internationale de l’Amiante a demandé que ne soit apposée aucune étiquette de danger sur les produits exportés.

En 1984 - 20 ans après le rapport Selikoff ! - les responsables d’Eternit ont fait pression sur les membres du parlement européen pour défendre l’amiante.

La défense soutient que La Compagnie Eternit Belgia n’est qu’un holding qui n’est jamais intervenu dans la production en Italie. Elle affirme que l’accusé ne s’occupait pas de sécurité, mais seulement de gestion financière.
En fait la multinationale Eternit contrôlait les activités de ses établissements du monde entier, dans leurs dimensions financières et opérationnelles, dont la sécurité était partie intégrante.

De Cartier n’était pas un simple comptable. C’était un dirigeant du groupe à part entière.


 

Maître David HUSMANN (Suisse)
« Schmidheiny aurait dû informer et protéger ses salariés »

La défense prétend que les dommages sont indépendants de la volonté de Stephan Schmidheiny. Ce n’est pas le cas.

Le 29 mai 1968 Schidheiny a fondé en Suisse « ArbeitsKreis Asbest », une association dont les buts étaient « d’éviter que l’amiante ne soit classée comme « poison » et même comme « poussière fine pénétrant dans les poumons »

Il connaissait les dangers de l’amiante depuis 1961. Il aurait dû informer et protéger les salariés. Il est le responsable direct des dommages.

En mai 1971 une brochure de la SUVA [la Sécurité sociale suisse] explique que l’amiante cause des asbestoses et des mésothéliomes. Elle recommande de ne pas inhaler les poussières, de travailler à l’humide en espace confiné, et de contrôler l’empoussièrement.

Schmidheiny était informé, mais il n’a rien fait en Italie et il a fait peu en Suisse.

En septembre 71 les contrôles d’empoussièrement et la surveillance médicale sont devenus obligatoires en Suisse. En Italie il n’y a eu à cette époque ni contrôles ni surveillance médicale. Il y avait bien deux poids deux mesures entre la Suisse et l’Italie en matière de sécurité .
En Suisse aussi des victimes ont engagé des actions judiciaires. Mais la cour fédérale les a déboutées, estimant que le délai de prescription de 10 ans s’appliquait à compter de l’exposition à l’amiante. Le temps de latence entre l’exposition et l’apparition d’une maladie de l’amiante étant supérieur à dix ans l’action est prescrite avant la survenue du dommage ! Nous avons engagé un recours devant la cour de européenne de Justice de Strasbourg.

Aujourd’hui nos espoirs se tournent vers Strasbourg et vers Turin.

Il existe des liens forts entre la Suisse et l’Italie. Beaucoup d’immigrés italiens sont allés travailler en Suisse puis sont retournés en Italie où ils sont tombés malades à cause de l’amiante.

Nous espérons que la justice italienne, s’occupera aussi de leur cas et que leurs plaintes pourront être instruites de façon équitable.


 

Jean-Paul TEISSONNIERE (France)
« Une catastrophe du futur, sans limites géographiques ni temporelles »

Le procès de Turin n’est pas un procès local ou national, il est global. En France, et dans de nombreux pays du monde, des travailleurs ont été contaminés en travaillant dans les mêmes conditions. Des travailleurs italiens ont été exposés à l’amiante chez Eternit à Vitry-en-Charollais. Retournés en Italie pour leur retraite, ils ont été frappés par les mêmes maladies, et sont décédés dans les mêmes souffrances que leurs collègues de Casale Monferrato.

Le Groupe Eternit a une politique internationale coordonnée en matière de Sécurité. Ses dirigeants ont choisi avec cynisme, - malgré l’existence d’alternatives techniques - de différer le passage à une technologie sans amiante.

Ce n’est pas une catastrophe du passé. Comme Fukushima, Casale Monferrato est une catastrophe de l’avenir, produit d’une organisation du travail qui ne connaît ni limites géographiques ni limites temporelles : des ouvriers et des habitants de Casale aujourd’hui en bonne santé vont tomber malades dans les mois et les années qui viennent. Vous avez la lourde tâche de juger une catastrophe qui n’a pas encore produit tous ses effets.

Pour les associations de victimes dans le monde, Turin est un laboratoire. Nous espérons que ce procès aidera à créer les bases juridiques d’une cour pénale internationale pour juger de grands crimes sociaux et environnementaux : 500 000 morts en Europe, des millions de victimes dans le monde.

Il n’existe aucune catastrophe industrielle comparable.

Le délit de mise en danger d’autrui permet aux associations et aux organisations syndicales d’engager une action pénale pour des faits récents. La répression pénale y gagne en efficacité. A côté des victimes malades ou décédées, on voit émerger une nouvelle catégorie : les victimes de l’exposition. En France le tribunal correctionnel de Lille en 2006 a condamné la société Alstom et ses dirigeants pour avoir mis en danger la santé de salariés en les exposant à l’amiante. Les salariés se sont constitués partie civile et ont obtenu l’indemnisation de leur préjudice d’anxiété. La cour de cassation a confirmé ce principe de droit en 2010.

Au moment où l’utilisation industrielle de l’amiante recommence à croître dans les pays en voie de développement, le procès de Turin, qui a situé à juste titre à la tête du groupe industriel international, la responsabilité de ce crime, préfigure ce que pourrait être une justice internationale dans le domaine des crimes sociaux et environnementaux.


 

Sergio BONNETO (Italie)
« Un bouleversement social dans la population de Casale »

En 1981, avec Bruno Pesce, lors du premier procès, nous étions allés voir le juge d’instruction pour tenter de faire accélérer la procédure. Le juge d’instruction nous avait laissé entendre que ce procès n’aurait jamais lieu parce qu’il était « trop difficile ». Bruno Pesce avait répondu : « Nous ferons notre possible pour qu’il ait lieu ».

Que de chemin parcouru depuis !

En accord avec les interventions de mes collègues avocats d’autres pays, je considère qu’il existe un élément unificateur dans ce procès : c’est la mise en danger délibérée de milliers de personnes exposées aux fibres d’amiante par des dirigeants conscients du risques mais totalement indifférents à ses conséquences.

Des milliers de personnes seront encore en danger pour une période dont on ne peut fixer les limites. Seul le destin fixe la date à laquelle on tombe malade.

Si les accusés avaient fait le choix d’investir de l’argent pour éliminer l’amiante, plutôt que pour préserver l’image de marque du groupe Eternit, combien de maladies, combien de morts auraient pu être évitées ?

Dès lors que les accusés ont fait consciemment le choix de mettre en danger la vie de milliers de personnes, force est de constater qu’un préjudice moral est constitué, un préjudice qui doit légitimement être indemnisé

La nécessité de cette indemnisation est en fait indépendante de la pathologie. Elle existe du seul fait d’avoir été dans une situation mettant sa vie en danger.

Tel est l’élément unificateur qui relie les victimes, les familles et les associations.

Ce procès a révélé l’énorme bouleversement social provoqué dans la population de Casale, dont l’étude d’une psychologue a confirmé l’ampleur.

Toutes les personnes ayant vécu dans des zones territoriales où elles ont été exposées à l’amiante et qui se sont portées parties civiles doivent être indemnisées. Il est absolument nécessaire de rendre exécutoires les décisions de justice concernant le versement des indemnisations aux institutions sociales et locales. Différer plus longtemps l’attribution des moyens économiques nécessaires pour achever les travaux de dépollution ce serait retarder la fin de l’exposition à l’amiante dans les sites contaminés.


Pour ceux qui comprennent l’italien

Les audiences peuvent être écoutées sur le site :

http://www.radioradicale.it/scheda/332053/processo-alleternit


Article tiré du Bulletin de l’Andeva Numéro 37 "Spécial Italie"