V comme Victoire !

Le tribunal civil de Bruxelles a condamné le 28 novembre la société Éternit à verser 250 000 euros à la famille Jonckheere qui fut si douloureusement frappée par l’amiante : quatre de ses membres sur sept sont morts d’un mésothéliome.

"Contre le pot de fer, le pot de terre a gagné"

Pierre Jonckheere était ingénieur. Il est mort d’un mésothéliome en 1987. Il avait travaillé toute sa vie chez Eternit à Kapelle-op-den-Bos. Il habitait avec sa famille dans une maison proche de l’usine.

En 1999, Françoise Jonckheere, son épouse, fut à son tour atteinte de ce terrible cancer de la plèvre, contaminée par les vêtements de travail de son époux et les poussières d’amiante rejetées par l’usine.

Le courage de dire : Non !

Comprenant qu’Eternit dissimulait sciemment les dangers d’un matériau cancérogène qui pouvait contaminer non seulement les ouvriers mais aussi leur famille et les personnes vivant au voisinage de l’usine, elle fit passer des examens à ses 5 fils. Tous avaient de l’amiante dans les poumons.
Éternit lui proposa d’acheter son silence contre le versement d’une indemnité de 42 000 euros. Elle eut le courage de dire non et engagea une action judiciaire contre l’entreprise responsable de cette contamination. Face au travail de désinformation systématique d’Eternit, elle décida avec Luc Vandenbrock de créer l’Abeva, l’association belge de défense des victimes de l’amiante.

Françoise Jonckheere s’éteignit en 2000, mais la tragédie familiale continua : après son décès, deux de ses fils, Pierre-Paul et Stéphane, moururent à leur tour d’un mésothéliome, le premier en 2003, le second en 2006. Ses trois fils survivants eurent le courage de poursuivre une interminable procédure judiciaire contre la multinationale de l’amiante.

« Un cynisme incroyable »

Onze ans après le dépôt de la plainte, la justice belge leur a donné gain de cause le 28 novembre. Le jugement, lu en néerlandais par le président du tribunal civil de Bruxelles, a des mots très durs pour qualifier la faute commise par Éternit, dénonçant le "cynisme incroyable avec lequel des connaissances scientifiques ont été balayées par appât du gain".

Il considère que les plaignants ont apporté la preuve qu’Eternit "a tiré un profit personnel de ses efforts pour minimiser et dissimuler les dangers de l’amiante et de ses interventions pour bloquer l’adoption légale de mesures de protection de la santé publique".

Les avocats d’Eternit avaient tenté de démontrer que l’action judiciaire était frappée de prescription. Le juge ne les a pas suivis.

Le but premier
n’était pas l’argent

Le tribunal a finalement accordé
250 000 euros à la famille Jonckheere pour la dédommager, considérant que des droits élémentaires comme le droit à la vie et le droit à une vie familiale avaient été lésés. Une somme qui peut sembler faible en regard de l’importance des préjudices subis par cette famille martyre de l’amiante. Mais le but premier de cette action judiciaire n’était pas l’argent. Il était d’abord de faire reconnaître la responsabilité d’Eternit. Il a été atteint : c’est la première fois en Belgique que la multinationale est condamnée suite à une action judiciaire engagée par des victimes environnementales.

Le procès a permis de mettre en lumière les méthodes ignominieuses de ce groupe "passé maître dans le chantage à l’emploi, la manipulation de la recherche, les campagnes de désinformation et la séduction du monde politique" et faisant fi de "l’énorme coût humain que la production de l’amiante devait entraîner", avec près de 200.000 morts par an dans le monde.

Une vague d’émotion dans
la salle d’audience

Le jugement a été accueilli par une formidable vague d’émotion et de satisfaction dans la salle d’audience. "Ce 28 novembre est un jour historique. Il arrive donc qu’un pot de terre puisse gagner contre le pot de fer" s’est exclamé Eric Jonckheere, co-président de l’Abeva, qui a rendu hommage au formidable courage de sa mère, et a souligné l’importance de la solidarité internationale des victimes : "Si le jugement a pu nous être favorable, c’est grâce à la détermination, la confiance et l’entraide qui ont pu s’établir entre les réseaux internationaux d’avocats et les associations de défense de victimes". La veille et le jour de l’audience, des associations d’autres pays étaient venues à Bruxelles apporter leur solidarité. Pour l’Andeva une délégation de victimes et de veuves de Dunkerque, Thiant et Paray-le-Monial était présente.

La direction d’Eternit pourrait faire appel. Les trois survivants de la famille Jonckheere l’attendent de pied ferme pour cette nouvelle échéance judiciaire.

Leur seul souci : la santé
de leur portefeuille

Ce procès à venir sera une nouvelle occasion de dénoncer l’action malfaisante du groupe : "Ils savaient que l’amiante pouvait nuire, mais seule la santé de leur portefeuille importait. Nous, les orphelins de Pierre et Françoise Jonckheere, nous ne sommes nullement animés par un esprit de vengeance. Il a fallu réapprendre à vivre sous cette épée de Damoclès et cohabiter avec la pieuvre qui vit en nous. Nous voulons éveiller les consciences, dénoncer ces dénis, arrêter l’omerta qui règne sur Kapelle et parler de la situation dramatique des travailleurs encore exposés à ces fibres de mort dans les nombreux pays où ce minéral n’est pas encore banni".

Une victoire qui
en appellera d’autres

En Belgique, les actions judiciaires des victimes de l’amiante sont beaucoup moins développées qu’en France ou en Italie. Cette première victoire en appellera d’autres.

Elle ouvre des perspectives nouvelles à l’Abeva pour faire évoluer la législation, soutenir d’autres actions judiciaires et obtenir des moyens pour la recherche sur le mésothéliome.

A la veille du procès de Turin, c’est un encouragement pour les victimes de l’amiante du monde entier.

____________________________________

Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°38 (janvier 2012)