Les leçons d’une campagne de mesures sur les chantiers

De novembre 2009 à novembre 2010 a eu lieu une campagne de mesures de l’exposition professionnelle à l’amiante sur des chantiers, en situation réelle de travail.

Conformément aux recommandations du rapport de l’Afsset* sur les fibres courtes (FCA) et les fibres fines d’amiante (FFA), les mesures ont été réalisées en microscopie électronique à transmission analytique (META), une méthode qui identifie avec précision la nature et le type de fibres repérées.

Anita Romero-Hariot est expert et conseiller technique à l’INRS, spécialiste de l’amiante. Elle tire les leçons de cette campagne.

"Au vu des résultats, la protection des travailleurs est un sujet de préoccupation"

Quels étaient les objectifs de cette campagne de mesures ?

Anita Romero-Hariot : le rapport de l’Afsset préconisait que les mesures 
en milieu professionnel soient réalisées par la méthode META.

Nous voulions tester la faisabilité de cette méthode utilisée jusqu’ici en environnement intérieur dans les bâtiments pour des niveaux d’exposition souvent très inférieurs.

Nous voulions aussi acquérir des nouvelles données sur la répartition granulométrique des fibres d’amiante en milieu professionnel.

Certains résultats vous ont-ils surpris ?

Oui, la proportion de fibres fines dans un nuage de poussières d’amiante était évaluée à 5,6% dans le rapport de l’Afsset. Nous en avons trouvé 17% ! Ces mesures nous ont permis de mieux prendre en compte le vieillissement et la dégradation de certains matériaux contenant de l’amiante.

Nous voulions aussi évaluer l’impact de techniques agressives susceptibles de libérer de grandes quantités de fibres, telles que l’utilisation de matériels à haute pression pour retirer des peintures ou des mortiers contenant de l’amiante lié.

Nous voulions enfin voir si certaines techniques appliquées à certains matériaux ne devaient pas être proscrites.

Comment avez-vous sélectionné les chantiers et les situations de travail ?

En fonction de leur représentativité. Nous avions défini une typologie des chantiers et des situations de travail les plus fréquentes.

Nous avons ainsi pu repérer les matériaux et les techniques les plus émissifs de fibres d’amiante.

Ainsi pour des interventions sur des plâtres amiantés par rectification et ponçage, nous avons relevé des niveaux moyens d’empoussièrement de 20 000 à 60 000 fibres par litre (fibres OMS + FFA).

En prenant en compte le facteur de protection des équipements de protection individuels (EPI), on arrive à des niveaux moyens de 124 fibres par litre avec des valeurs maximales de 240 fibres par litre.

On est alors bien au-dessus des 100 fibres par litre...

En effet, les taux d’empoussièrement moyens sont déjà à la limite de la capacité des protections respiratoires individuelles, si l’on garde une valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) de 100 fibres par litre. Ils seraient très supérieurs à la VLEP si celle-ci était abaissée à 10 fibres par litre, comme les pouvoirs publics l’ont annoncé.

Ce sont des résultats inquiétants.

La question de la protection des travailleurs est effectivement un sujet de préoccupation.

Au vu de ces résultats une nouvelle étude sur les facteurs de protection des masques doit être menée dans les mois qui viennent Les données disponibles reposent sur des anciennes mesures en microscopie optique à contraste de phase (MOCP). Elles doivent être réactualisées. Il faut prendre en compte non seulement l’efficacité du filtre, mais aussi l’adaptation du masque au visage en situation de travail. On sait que l’étanchéité est moins bonne en situation de travail réelle d’un salarié que sur un visage factice immobile.

Quels types de protections respiratoires ont été utilisés durant cette campagne ?

Une large gamme d’équipements a été utilisée : demi-masque à ventilation libre, demi-casque THP3, masque complet à ventilation assistée, masque à adduction d’air…

Les deux derniers modèles, les plus efficaces, ont été utilisés dans plus de 80% des cas.

On peut regretter l’absence de mesures simultanées sur les mêmes situations de travail par les deux méthodes (META et MOCP). Cela aurait permis une comparaison.

En effet, mais le ministère ne disposait pas d’un budget suffisant. Il a choisi de privilégier les mesures en META. Il a été demandé aux laboratoires de conserver les filtres. L’INRS pourra reprendre plus tard ces filtres pour des analyses en MOCP.

Dans l’immédiat on a comparé des situations de travail analogues à partir de la base de données SCOLA (5000 mesures en MOCP). Les résultats varient avec les niveaux d’empoussièrement :

Entre 10 et 100 fibres par litre en MOCP les résultats des deux méthodes sont sensiblement équivalents.

Au-dessus de 100 fibres, le nombre de fibres (OMS + FFA) mesuré en META est toujours supérieur au nombre de fibres mesuré en MOCP.

Ces résultats devraient conduire à réévaluer les techniques utilisées dans le bâtiment.

Oui, tant que les équipements de protection n’auront pas été réévalués, il serait prudent de recommander aux professionnels de s’abstenir d’utiliser certaines techniques très émissives et de rendre certains matériels inaccessibles au public.

Cela ne devrait pas nécessairement conduire à les proscrire définitivement (leur utilisation pourrait par exemple être admise en espace confiné sans présence humaine).

Il faut aussi améliorer la qualité du repérage avant travaux.

Quelle a été la qualité des mesures d’empoussièrement ?

Assez inégale. Nous avons rencontré des difficultés avec certains labos pourtant agréés, dont les résultats comportaient des erreurs et révélaient un manque de rigueur dans les méthodes de contrôle. 
C’est pourquoi nous avons proposé qu’un module de formation obligatoire soit intégré dans les accréditations.

La fiabilité des mesures est la condition de toute évaluation des risques. Sans évaluation rigoureuse, il ne saurait y avoir de véritable prévention.

* Agence française pour la santé et la sécurité du travail et de l’environnement

** Organisée par l’Institut National de recherche et de sécurité (INRS), la Direction générale du travail (DGT), le laboratoire des particules inhalées (LEPI), la caisse nationale d’assurance maladie (CNAM-TS) et le syndicat professionnel SYRTA

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°39 (mai 2012)