Par un arrêt du premier décembre 2011 la cour d’appel de Paris a indemnisé 34 anciens salariés de ZF Masson partis en « pré-retraite amiante » de leurs préjudices, leur accordant 15 000 euros au titre du préjudice d’anxiété et 12 000 euros au titre du « bouleversement des conditions d’existence ».

 

« Comment vivre en sachant qu’on a dans les poumons des fibres cancérogènes qui ont déjà tué des collègues de travail ? »

 

Les ex-salariés de ZF Masson à Saint-Denis-lès-Sens avaient été les premiers à engager une action aux prud’hommes avec le soutien de l’Addeva Yonne.

Ils n’acceptaient pas de voir leur employeur arrondir ses bénéfices en utilisant les « départs amiante » pour s’offrir un plan social bon marché, alors que leur revenu diminuait.

Ils allèrent donc en justice pour demander à l’employeur de payer la différence entre leur ancien salaire et le montant de l’allocation de cessation anticipée d’activité (65% du brut).

Ce préjudice économique fut reconnu par le conseil de prud’hommes de Sens puis par la cour d’appel de Paris.

Statuant le 11 mai 2010, la cour de cassation cassa le jugement, en considérant que la baisse de revenu des allocataires avait été voulue par le législateur et ne devait donc pas être mise à la charge de l’employeur.

« La déception fut énorme, se souvient Patrick Thourigny, président de l’Addeva Yonne. Après quatre années de procédure judiciaire, nos espoirs s’écroulaient. Nous nous retrouvions les mains vides ! ».

La cour de cassation avait fermé une porte, mais elle en avait ouvert une autre, car, le même jour, elle a reconnu, pour la première fois en France, l’existence d’un préjudice d’anxiété comme le demandaient des ex-salariés de l’Ahlstrom Bergerac, avec le soutien du Cerader 24

Un an et demi plus tard, les deux affaires ont été rejugées sur le fond par deux cours d’appel de renvoi : celle de Toulouse et celle de Paris autrement constituée.

Toutes deux ont suivi la cour de cassation dans son refus d’indemniser le préjudice économique consécutif au départ en « pré-retraite amiante », mais la cour d’appel de Paris a ouvert une seconde porte en reconnaissant un bouleversement dans les conditions d’existence.

Pour caractériser ce préjudice, son arrêt utilise une expression forte, disant que les plaignants ont été victimes d’une véritable « amputation de leur avenir », une amputation affectant « irrémédiablement et quotidiennement » leurs projets de vie « dans de nombreux domaines autres que matériels ou économique ».

Dans sa plaidoirie, maître Jean-Paul Teissonnière, avocat des anciens salariés de ZF Masson, avait clarifié le débat , en prenant soin de distinguer deux types de préjudices :

1) la baisse de revenu consécutive à la cessation anticipée d’activité,

2) l’anxiété et les bouleversements dans les conditions d’existence (indépendants de cette cessation d’activité) .

« Avec le recul, explique-t-il aujourd’hui, l’anxiété et le bouleversement des conditions d’existence apparaissent comme deux composante d’un préjudice global de contamination, comparable à celui que des victimes du VIH ou de l’hépatite C.. »

Le droit rejoint ici le vécu des ouvriers. Qu’on soit ou non en « pré-retraite amiante », on ne vit plus de la même façon quand la vie peut être à tout moment abrégée par le poison qui a déjà emporté des collègues de travail. « Notre vie a été bouleversée par l’amiante. Il est important qu’enfin une cour d’appel le reconnaisse » explique Ezzine Khalfaoui, le vice-président de l’Addeva Yonne.

Le lendemain de cet arrêt, on apprenait la reconnaissance du préjudice d’anxiété et du bouleversement des conditions d’existence par les prud’hommes de l’Isère pour une action contre Arkema Jarrie soutenue par le Caper Sud Isère.

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°38 (janvier 2012)