A l’annonce de cette décision incompréhensible, Partout où Éternit a brisé des vies, c’est la même stupeur, le même dégoût, la même indignation

La nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Les victimes et les veuves ont l’impression d’être abandonnés par la justice : « Le seul droit qu’on nous reconnaît est celui de souffrir et de mourir sans faire de bruit ».

THIANT

« Les victimes sont partagées entre l’incompréhension et le dégoût, dit Jeannine du Caper Thiant. Au Caper nous avons eu 32 décès en 2011. Le dernier est mort d’un mésothéliome. Nous l’avons enterré il y a huit jours. Il aurait eu 54 ans le 24 décembre. C’était le plus jeune membre de notre conseil d’administration. Il est parti sans savoir si sa maladie serait reconnue.

Il y a un sentiment d’injustice totale : on blanchit les responsables et on punit les victimes ! C’est l’abattement, l’impression d’être abandonnés, niés en tant qu’êtres humains... »

Jean-Michel Després, le président du Caper le confirme : « La première réaction, c’est de demander : où va la Justice ? Comment peut-on envoyer les huissiers chez les victimes et dérouler le tapis rouge sous les pieds des empoisonneurs ? Pourquoi les responsables peuvent-ils être jugés au pénal en Italie et pas en France ? Auraient-ils un droit de vie ou de mort sur leurs salariés ? On retourne au Moyen-Âge, le seul droit qu’on reconnaît aux victimes, c’est celui de mourir sans faire de bruit…

Quinze années d’instruction pour en arriver là ! Des gendarmes qui perquisitionnent, saisissent des documents, interrogent des témoins, et puis… plus rien !
J’ai travaillé 34 ans chez Éternit. Jamais on ne m’a dit que l’amiante était dangereux. Je n’accepte pas. »

VITRY-EN-CHAROLLAIS

« Après l’annonce de l’annulation des procédures contre les directeurs d’Éternit, j’ai vu des veuves, scandalisées, explique Jean-François Borde, le président du Caper Bourgogne. Elles se disent qu’il y a dans ce pays une justice des riches et une justice des pauvres.

Tout le monde se demande si Éternit paiera un jour pour toutes les vies qu’il a brisées.

A l’usine de Vitry-en-Charollais, l’association a compté 110 victimes connues, sans compter toutes les maladies dont l’origine a été ignorée.
Éternit s’en tire bien ! Il s’était déjà fait rembourser des sommes énormes par la Sécurité sociale, sous prétexte que la caisse primaire n’avait pas respecté le caractère contradictoire de la procédure.

Quand l’usine tournait, la direction menaçait les délégués : « si vous parlez des dangers de l’amiante, vous aller faire fermer l’usine. Vous serez responsables de milliers de licenciements ! »

Aujourd’hui, c’est de milliers de morts dont eux sont responsables, et voilà que la justice les blanchit ! Un de mes collègues a perdu sa femme à 67 ans et sa fille à 53 ans, toutes deux contaminées par les bleus qu’il ramenait à la maison. Est-ce à lui de se sentir responsable, puisque la justice absout Cuvelier ?

CARONTE

« On veut enterrer l’affaire, mais cela ne se passera pas comme ça. La cour de cassation est saisie, dit Michel Salard, pilier du Caper, qui a travaillé 21 ans chez Eternit Caronte. « Mon épouse a été contaminée par l’amiante en lavant mes bleus. Elle est décédée d’un mésothéliome il y a deux mois. Elle a fini sa vie dans des souffrances atroces. J’ai assisté à son agonie. Je n’accepte pas que les responsables soient blanchis.

Je vais me battre. J’ai gardé les comptes rendus des réunions de DP ou du CHSCT : les représentants du personnel demandaient que les vêtements de travail soient lavés par l’entreprise. « Nous allons étudier la proposition », nous répondaient-ils en 1977, puis en 1978. Rien n’a été fait. En 1979 l’usine a fermé...

Il ne s’agit pas de vengeance ; c’est une question de dignité pour tous ceux que l’amiante d’Éternit a tués. Je veux que les responsables soient jugés et condamnés, les vrais responsables : Joseph Cuvelier, Dominique Cuvelier (son frère), Van Der Rest, Emsens, Pierrard…

Je les ai côtoyés pendant onze ans, quand j’étais membre du conseil d’administration de 1967 à 1978. J’ai été secrétaire du CCE de 1973 à 1978.

C’est eux qui dirigeaient le groupe et qui fixaient ses orientations »


Articles tirés du Bulletin de l’Andeva N°38 (janvier 2012)