Lucienne et Jacques sont montés ensemble dans le car de l’Addeva 93 pour Saint-Quentin. Lucienne a perdu son premier mari d’une asbestose. Jacques a des plaques pleurales Ils s’aiment. Ils ont 159 ans à eux deux.

Ils n’auraient manqué cette manifestation pour rien au monde.

Lucienne se souvient : « J’ai eu 80 ans au mois de mai. Michel, mon mari était peintre décorateur. Il a travaillé dans la marine, sur le Foch, le Clemenceau, la Jeanne d’Arc…

Il y avait de l’amiante partout dans ces bateaux. Aujourd’hui encore, ceux qui les démolissent ont des problèmes avec l’amiante.

Si je suis venue à cette manifestation, c’est d’abord pour aider les autres.
Beaucoup de gens ne connaissent pas ces maladies. Moi, je sais comment l’amiante peut handicaper quelqu’un.

J’ai vu mon mari décliner petit à petit, je l’ai accompagné pendant quinze ans. Il était accroché à ses bouteilles d’oxygène. Il ne pouvait pas bouger.
Dès que je le quittais pour aller faire une course, je craignais toujours qu’il ait une crise et qu’il s’étouffe.

J’avais hâte de rentrer. Il était attaché à ses tuyaux et à ses bouteilles d’oxygène, et moi j’étais attachée à lui. Je ne pouvais pas m’éloigner.

A la fin il n’avait plus d’oxygène du tout dans les poumons. On lui a fait une trachéotomie.

A l‘époque on ne parlait pas des dangers de l’amiante.

On parlait surtout des dangers de la peinture au plomb.

Il travaillait sans masque. Un jour, j’étais dans le bureau du patron. Un chef d’équipe est venu réclamer une cinquantaine de masques, parce que ce jour-là il y avait un contrôle. Les autres jours les masques restaient dans les placards. Il est décédé à 59 ans. Il n’a pas gagné sa retraite.

J’ai apprécié cette manifestation. Il y avait beaucoup de monde. Elle était bien organisée. J’espère que nous obtiendrons quel-que chose pour les ouvriers. »

S’il y a d’autres manifestations, Lucienne et Jacques reviendront : « Il faut s’entr’aider les uns les autres »…


Article tiré du Bulletin de l’Andeva N°38 (janvier 2012)