Le 13 février 2012, pour la première fois au monde, le tribunal de Turin a condamné deux hauts dirigeants d’Eternit, à 16 ans de prison et à des provisions financières importantes.
Ce jugement a été ressenti comme une formidable victoire par les victimes d’Italie et du monde entier.
Il ne mettra pourtant pas fin à la bataille menée depuis trois décennies par les victimes de Casale, soutenues par l’Afeva et des syndicats. Le combat judiciaire continue pour au moins quatre raisons :

- Les deux condamnés refusent de verser les provisions dues à 800 victimes au titre de l’exécution provisoire ;
- Ils ont fait appel du jugement ;
- Le procureur Guariniello instruit un procès « Eternit-bis » pour d’autres victimes italiennes contaminées en Italie et il envisage d’élargir l’instruction à des victimes italiennes contaminées en Suisse, voire en Belgique, en France ou au Brésil ;
- Longtemps après l’interdiction de l’amiante et la fermeture des usines, l’amiante d’Eternit continuera encore à tuer à Casale Monferrato, Cavagnolo, Rubiera et Naples.

Pour ces futures victimes aussi, il faudra bien alors que les responsables rendent à nouveau des comptes à la Justice.


 

BRUNO PESCE (coordinateur de l’Afeva)

« Notre combat judiciaire contre les dirigeants d’Eternit continue »

Le tribunal de Turin a condamné Stephan Schmidheiny et Louis de Cartier de Marchienne à 16 ans de prison, mais aussi à verser des indemnités conséquentes...

Les juges ont ordonné le versement immédiat d’une provision à 800 plaignants pour un montant de 30 à 35 000 euros par personne. Il ne s’agit pas d’un montant définitif mais d’un acompte sur le montant total de l’indemnisation qui devra être fixée par une juridiction civile.
Les deux condamnés ont décidé de ne pas payer ! C’est une décision très grave. L’accepter sans réagir signifierait que la loi ne s’applique qu’aux faibles et que les patrons sont au-dessus des lois.

Est-il possible de les contraindre à payer ce qu’ils doivent ?

Juridiquement, c’est tout à fait possible : on peut mettre sous séquestre les biens des condamnés récalcitrants. Mais une procédure judiciaire visant à faire exécuter une décision de la justice italienne en Belgique est financièrement très lourde (plusieurs milliers d’euros par personne). Les victimes n’en ont pas les moyens.

C’est un problème grave. L’Afeva et les organisations syndicales ont écrit au ministre du travail et à celui de la justice pour demander l’organisation d’une table ronde : L’Etat italien doit prendre ses responsabilités pour faire exécuter une décision de justice rendue au nom du peuple italien, y compris en assumant le coût financier des procédures.

Les victimes de l’amiante et leur familles sont les premières touchées, mais elles ne sont pas les seules. Le juge avait aussi condamné Schmidheiny et de Cartier à verser 15 millions d’euros de provision à l’INAIL (la Sécurité sociale italienne) qui a indemnisé les victimes d’Eternit et 25 millions d’euros à la commune de Casale qui doit assumer les travaux de dépolution.

Les deux condamnés ont fait appel du jugement.

Nous ne sommes pas surpris. Ils continuent à nier leurs responsabilités, comme ils l’ont fait tout au long du procès. Ils prétendent qu’ils ont pris toutes les mesures nécessaires et dépensé des milliards pour protéger les ouvriers et la population, mais cette affirmation est contredite par les documents qu’ils ont eux-mêmes présentés au tribunal.
Un bel exemple est celui des meules : pour broyer l’amiante, on utilisait une énorme roue de pierre, semblable à celle qui broie les olives pour en tirer de l’huile. Un « professeur experts » a présenté une magnifique photo d’une meule carénée où les poussières d’amiante étaient confinées dans une enceinte close. Ce modèle a été utilisé dans une entreprise de Lombardie (qui n’appartenait pas à Eternit). Le problème, c’est qu’aucun ouvrier n’en a jamais vu une seule à Casale, à Cavagnolo, à Rubiera, ou à Naples !

A l’audience a été lue une lettre envoyée au directeur de l’usine de Casale par Roboc, le responsable de l’achat des équipements de protection. Il écrit que les masques utilisés par les ouvriers sont inefficaces et laissent passer les fibres les plus dangereuses qui peuvent pénétrer profondément dans les voies respiratoires. Il y a d’autres modèles de masques plus efficaces mais plus chers. Il recommande donc de continuer à utiliser les anciens, à cause de leur bon effet « psychologique » (sic) ! Comme si la psychologie pouvait protéger les ouvriers des fibres cancérogènes ! Quel cynisme criminel !

Les victimes et les familles ont-elles porté d’autres demandes en appel ?

Oui, l’Afeva et les syndicats ont demandé que soit retenu le chef de poursuite de mise en danger d’autrui (« rischio » en italien), porté jusqu’ici par des non malades anxieux de le devenir, soit étendu à l’ensemble des parties civiles. Il s’agit d’une exposition délibérée à un produit risquant de provoquer des maladies graves, même si ce risque ne se réalise pas (poser une bombe est un délit, même si elle n’explose pas ou pas encore).

Etendre cette démarche à toutes les parties civiles de ce procès pourrait ouvrir la perspective d’autres actions judiciaires à venir (au pénal et au civil) pour tous les habitants de Casale et des communes limitrophes qui n’étaient pas partie civile dans ce procès.

Le procureur Guariniello prépare un procès « Eternit-bis ».

Oui, l’instruction semble bien avancer. Le second procès concernera sans doute d’autres travailleurs italiens contaminés dans les usines Eternit italiennes. Le chef de poursuite sera sans doute« l’homicide volontaire dolosif. »

L’enquête pourrait s’élargir à des ouvriers italiens contaminés en Suisse. Ce serait une première. Dans ce pays en effet le délai de prescription court à partir du début de l’exposition à l’amiante. Vu l’importance du temps de latence entre exposition et maladie, cela revient à priver les salariés et leur famille de toute possibilité d’agir en justice. Dans ce contexte, un procès à l’initiative de la justice italienne pourrait avoir un énorme retentissement.

Le procureur envisagerait même d’étendre l’enquête à des ouvriers italiens contaminés en France, en Belgique et au Brésil. Cela pourrait déboucher sur d’autres procès, si les faits sont avérés.

Thomas Schmidheiny, le frère de Stephan, a été mis en examen. Il possède, lui aussi, une immense fortune.

Il a été mis hors de cause pour les faits survenus en Italie, mais en Suisse il a joué un rôle important pendant une courte période dans les années 90.

On peut donc s’attendre à de nouvelles procédures pendant plusieurs années.

C’est une certitude. Pendant de longues années encore l’amiante-ciment d’Eternit continuera à tuer. Je ne sais pas si De Cartier, qui a déjà 90 ans, deviendra centenaire. Mais je sais que Schmidheiny est encore jeune. Il faut qu’il sache bien que - durant tout le reste de sa vie - il aura des comptes à rendre à la justice. Quand on sème les graines de la maladie et de la mort sur toute la planète, il faut assumer ses responsabilités.


 

AVIS DE RECHERCHE

Si vous êtes malade de l’amiante et de nationalité italienne et si vous avez été contaminé dans un établissement Eternit en France, ou si un membre de votre famille, qui était dans cette situation est décédé d’une maladie due à l’amiante,
vous pouvez peut-être contribuer à la reconnaissance de la faute pénale d’Eternit par la Justice italienne.

Prenez contact avec le siège de l’Andeva à Vincennes (01 41 93 73 87). Nous vous indiquerons la marche à suivre.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°40 (septembre 2012)