Pour René Vincent, le président du Cerader 24, défendre les victimes aujourd’hui et éviter que l’amiante n’en cause de nouvelles demain sont deux dimensions indissociables du combat d’une association. Il évoque pour nous la bataille pour la prise en charge des déchets d’amiante des particuliers et la condamnation de Manuco pour « mise en danger d’autrui ».


Quelle a été l’action du Cerader sur les déchets amiantés ?

Rien n’était prévu pour les particuliers désireux de s’en débarrasser. On trouvait des dépôts sauvages dans les bois et les champs. Des plaques d’amiante-ciment étaient écrasées sous les roues des tracteurs, ce qui les rendait encore plus dangereuses. Nous avons essayé d’alerter les autorités. L’accueil ne fut pas enthousiaste. Nos interlocuteurs évoquaient tous le problème du coût pour les communes et les communautés de communes.


La charge financière était-elle donc si importante ?

Oui, les communes doivent réaliser un Dossier technique amiante (DTA) sur les édifices publics. Pour une petite ville de 3000 habitants comme La Force, les diagnostics ont coûté 16 000 euros en 2006 . Et, quand on a repéré de l’amiante, il faut l’enlever. Sans aide de l’Etat, il ne reste plus qu’à augmenter les impôts, ce que les politiques n’envisagent pas de gaîté de cœur.

La situation a-t-elle évolué depuis ?

L’association a fait connaître les dangers de l’amiante. Des déchetteries ont commencé à accepter les déchets amiantés des particuliers, mais l’accueil laissait à désirer. Certaines décharges avaient des bennes où tous les débris s’entassaient sans précaution. Nous avons tiré le signal d’alarme. Il a été entendu par le syndicat intercommunal de gestion des déchets (SMBGD).
La communauté de communes a annoncé une nouvelle déchetterie à Bergerac, où les installations étaient vétustes et sous-dimensionnées.
Nous avons alors contacté le SMBGD et demandé que cette nouvelle déchetterie puisse accueillir en toute sécurité des déchets d’amiante.
Lors de l’enquête d’utilité publique, nous avons porté cette demande auprès du commissaire. Le préfet a finalement accepté.

Quand cette décharge entrera-t-elle en fonction ?

Elle ouvrira en janvier 2013. Nous discutons avec le syndicat départemental (SMD3) de la meilleure façon de recueillir les déchets des particuliers.
L’expérience d’associations des Pays-de-Loire et de Drôme-Ardèche nous a aidés à faire des propositions qui sont à l’étude.
Des emballages spéciaux et un document explicatif seraient remis à chaque personne voulant déposer des déchets amiantés. Elle émargerait afin de garantir une traçabilité.

Pour la collecte, deux solutions sont envisagées : l’une est de recevoir sur le site les déchets amiantés des particuliers. L’autre d’en organiser le ramassage à dates fixes et connues.

Il faudrait aussi plusieurs sites d’accueil dans le département pour réduire les distances. Cette dernière solution serait plus intéressante mais plus onéreuse. Il faudrait une participation des ministères (Écologie et Santé) et des entreprises les plus polluantes.

Comment ce travail vers la population locale se combine-t-il avec une action en milieu professionnel ?

Nous intervenons aussi dans les entreprises.
Nous nous heurtons, là aussi, à des problèmes de coûts, mais les employeurs, eux, ont les moyens d’agir mais ne veulent pas rogner sur leurs profits.

Quelle action une association peut-elle mener pour contraindre les employeurs à respecter leurs obligations ?

Dans l’entreprise Manuco, en 2008, des ouvriers de la chaudronnerie Lescaut sont intervenus sans protection ni formation pour démonter des plaques de toiture Everit en amiante-ciment.
On leur a même demandé de casser ces plaques à la masse !
Avec l’aide du Cerader, une plainte pour « mise en danger d’autrui » a été déposée conjointement par les 4 ouvriers de l’entreprise sous-traitante qui avaient respiré de l’amiante en démontant la toiture, mais aussi par 15 ouvriers de l’entreprise utilisatrice, qui avaient continué à travailler en dessous d’eux pendant le démontage.
Le Cerader s’est porté partie civile. Il a été régulièrement sollicité durant l’enquête. Il a pu apporter des informations et des témoignages très précis sur ce qui s’était passé.

Le tribunal correctionnel a rendu son jugement le 15 mai 2012. Le directeur de Manuco a écopé d’une peine de prison avec sursis simple, d’une amende de 5 000 euros et de l’obligation de faire publier le jugement dans la presse.
L’entreprise a été condamnée à verser 30 000 euros d’amende, une somme entre 1000 et 2000 euros ainsi que 1 500 euros de frais de justice à chaque plaignant, 2500 euros au Cerader et 850 euros à l’Union locale de la CGT.
Ce jugement est un avertissement pour les employeurs, un rappel au respect de la vie et de la santé de leurs salariés.

Quels sont les projets du Cerader dans les mois qui viennent ?

Le 23 novembre se tiendra notre assemblée de fin d’année. Elle aura pour thème le désamiantage.
Le débat portera sur les différentes techniques d’élimination des déchets existantes (enfouissement, torche à plasma) et sur les problèmes de coûts rencontrés par les communes.
Nous inviterons des maires du département, des responsables d’associations locales de l’Andeva qui ont une expérience dans ce domaine, et bien entendu l’Andeva.


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°40 (septembre 2012)