AUBERT ET DUVAL

« Nous voulons la pré-retraite amiante »

 

24 mai 2012 : une centaine d’ouvriers de l’aciérie Aubert et Duval, qui ont débrayé à l’appel de la CGT, se rassemblent devant le tribunal administratif de Clermont. Ils luttent depuis 8 ans pour faire inscrire leur entreprise sur les listes ouvrant droit la « pré-retraite amiante ». Depuis 8 ans, leur revendication plus que légitime s’est heurtée au véto d’un patron de choc soutenu par le gouvernement Sarkozy qui a refusé d’appliquer trois décisions de justice favorables.

Depuis, le gouvernement a changé. Ils retournent aujourd’hui devant les juges, avec l’espoir que cette fois-ci ils pourront enfin débloquer la situation.

Des associations de victimes de l’amiante sont venues apporter leur soutien : des Caper Auvergne (Ancizes et du Puy-de-Dôme), l’Aldeva Andancette, l’Asava de Toulon, et le Caper Bourgogne ont répondu : présent. Georges Renoux, du syndicat CGT fait le point sur la lutte à la sono. Et tout le monde se dirige vers la salle d’audience.


 

Une audience éprouvante

On s’entasse dans la salle d’audience. Certains sont debout, d’autres ne peuvent entrer. Les visages sont graves. L’espoir se mêle à l’inquiétude.
Sidérés, ils entendent Madame le rapporteur de la République dire que les activités de calorifugeage - décalorifugeage ne sont « pas significatives » chez Aubert et Duval et qu’il n’y a donc pas lieu d’inscrire l’établissement. Prenant le contrepied des jugements favorables rendus par ce même tribunal en 2006, par la Cour d’appel de Lyon en 2008 et par le Conseil d’État en 2009, elle demande au tribunal de rejuger sur le fond une affaire déjà jugée par trois niveaux de juridiction !

Maître Lafforgue, l’avocat de Roger Triphon (à l’origine de la demande d’inscription) et du syndicat CGT, considère qu’il serait contraire au droit de rejuger sur le fond.

Il prend cependant soin de démontrer, preuves à l’appui, que les activités de pose et dépose de calorifuges concernaient une part importante du personnel de maintenance et de production dans cette aciérie. Il rappelle que la faute inexcusable de l’employeur a déjà été plusieurs fois reconnue. Sa plaidoirie est précise et argumentée. Elle repose sur un dossier solide, qui contient une masse considérable de documents et de témoignages.

L’avocat d’Aubert et Duval nie tout en bloc. Il prétend que sur une période de 40 ans moins de 80 ouvriers seraient concernés dans cette usine qui compte encore 1500 personnes !

Il n’y aurait, selon lui, sur 40 ans qu’une soixantaine de maladies professionnelles dues à l’amiante.

Dans la salle, ceux qui ont vu tant de collègues tomber malades et mourir de l’amiante, sont écœurés.

Comment peut-il avancer ces chiffres, alors qu’en 2009 le médecin du travail comptait déjà 244 malades de l’amiante ? Comment oublier qu’il y a eu deux nouveaux mésothéliomes cette année ?

A la sortie, maître Lafforgue fait le point. Josette Roudaire du Caper Auvergne appelle à rester vigilants et mobilisés. Alain Bobbio, qui apporte le soutien de l’Andeva dit qu’il s’agit d’un conflit emblématique qui a une portée nationale.

« Les gens sont sortis bouleversés et inquiets du tribunal », expliquera plus tard Georges Renoux.

La suite a montré que leur inquiétude était malheureusement fondée.
Le jugement est tombé trois semaines plus tard : le tribunal a rejeté l’inscription de l’établissement.

Le coup est très dur, mais il n’entamera pas la détermination des ouvriers à poursuivre la lutte.


 

Un patron qui a le bras long

 

Aubert et Duval, aux Ancizes est une aciérie qui élabore, forge, lamine, usine, traite des aciers spéciaux pour l’aéronautique, l’armée l’automobile, le nucléaire, le pétrole.

Principal fournisseur d’emplois de la région, elle a puisé ses salariés dans un monde agricole à très faibles revenus. Elle fait la pluie et le beau temps dans la région. Bien des politiques locaux sont à genoux devant Duval, l’homme qui évite l’exode rural, maintient les écoles ouvertes et fait vivre l’économie locale...

Mais Duval est aussi un patron de choc qui ignore le dialogue social, licencie et fait du chantage à l’emploi. Il voue une haine viscérale à la CGT. C’est le maître. Tout le monde doit « fermer sa gueule » et bosser.

Les ouvriers sont fiers de faire des aciers spéciaux très performants, mais ils travaillent dans le bruit et la chaleur, avec des poisons : amiante, chaux, huiles, chrome, valladium, tungstène, molybdène, poussières de fer..

Ouverte sans autorisation, l’usine a longtemps déversé sans autorisation ses déchets toxiques dans la décharge municipale ; elle a pollué l’atmosphère et la Viouze, une rivière qu’elle réaménage aujourd’hui en se décernant un brevet d’usine écologique...


 

Georges RENOUX (CGT)

« Le jugement nous a déçus mais nous continuons la lutte »

« Les travailleurs d’Aubert et Duval avaient placé beaucoup d’espoir dans l’audience du 24 mai. Ils ont été fortement déçus. Certains sont même en dépression. Mais nous sommes bien décidés à continuer la lutte, explique Georges Renoux.

« Il y a aujourd’hui un climat malsain dans l’entreprise. Tout se cumule : le sentiment d’injustice des collègues de plus de 50 ans, qui veulent partir, sans attendre de tomber malades, la menace d’une réduction des effectifs après la venue du cabinet Mac Kinsey, les intérimaires, à qui l’on demande de former d’autres intérimaires avant de leur laisser la place, le harcèlement de certains chefs...

Nous avons eu deux suicides en un mois. La direction essaie de restaurer son image en mettant en place une « cellule psychologique »...

Il fallait reprendre l’initiative. Une « enquête » de la direction régionale du travail (DRT), minimisait grossièrement l’exposition à l’amiante. Nous avons lancé notre propre enquête en faisant appel à la mémoire de tous ouvriers.

Nous avons saisi la cour d’appel de Lyon .

Le préfet a changé. Nous demanderons à le voir.

Nous avons demandé une rencontre à Marisol Touraine et Michel Sapin.
Si l’ancien gouvernement avait respecté la loi, notre entreprise serait déjà inscrite. Aujourd’hui il y a un nouveau gouvernement et une nouvelle majorité avec des députés qui nous ont affirmé leur soutien.

Au vu du dossier, ils doivent maintenant prendre leurs responsabilités et inscrire l’établissement, par arrêté, sans se retrancher derrière les procédures judiciaires en cours.

Les collègues ont la rage. Nous ferons certainement des actions dès la rentrée. »


 

François LAFFORGUE

 

« La décision du tribunal n’est pas fondée. Nous faisons appel. »

 

« Le même tribunal administratif en 2006, puis la Cour administrative d’appel en 2008 ont annulé le refus d’inscription du ministère, estimant qu’une « part significative de l’activité » était consacrée à « la manipulation de calorifugeage et décalorifugeage de produits amiantés ».

Le Conseil d’État a rejeté le pourvoi du Ministère en 2009. La décision est donc définitive : elle a l’autorité de chose jugée.

Le jugement se fonde sur une « enquête » des services du Ministère (ceux-là même qui sont à l’origine du refus !) qui minimise l’exposition des salariés. Or nous avons prouvé qu’elle était massive dans tous les services : aciérie, maintenance, élaboration spéciale, fonderie, laminoir, laboratoires, forge, usinage, contrôle ultrason, transport et manutention, magasin, réfractaire, traitement thermique… Nous faisons appel. »


 

CALORIFUGEAGE-DÉCALORIFUGEAGE DE L’AMIANTE

Les salariés mènent l’enquête

 

Sur demande insistante du ministère de Xavier Bertrand, la direction régionale du travail avait fait trois rapports successifs, le premier fut mauvais, le second exécrable et le troisième catastrophique, conformément aux souhaits du ministre. Elle a mené ces trois enquêtes… en restant dans son bureau ! Elle s’est contentée de convoquer le DRH puis la CGT, sans jamais prendre en compte les informations données par les délégués ni vérifier sur place.

« Pour préparer le procès en appel, nous avons décidé de lancer une enquête approfondie et impartiale en donnant la parole aux ouvriers, dit Georges. Nous avons entendu des actifs et des retraités qui ont travaillé des années 60 aux années 2000, à tous les postes de travail de l’établissement.

Nous avons demandé à chacun de décrire en détail son travail. L’un nous expliquait où et quand il mettait des plaques d’amiante ; un autre nous disait comment il enroulait un cordon d’amiante autour de la lance. Un troisième nous disait avec quelle fréquence il changeait l’amiante quand elle était brûlée… A chaque fois nous notions scrupuleusement ce qu’ils nous ont disaient.

Puis on allait voir un responsable d’atelier. Nous lui faisions lire les témoignages. Il disait : « c’est malheureusement la vérité, et vous en avez encore oublié ». Un ingénieur a lui aussi confirmé les faits.
Ce n’est pas par dizaines, mais par centaines que se comptent les personnes qui ont calorifugé ou décalorifugé dans l’usine.
Au vu des informations recueillies avant et pendant cette enquête, nous pensons que cela représente autour de 40% de l’effectif. C’est une part significative de l’activité, et tous ceux qui travaillaient autour en ont profité. »


 

Des témoignages précis, une enquête impartiale

 

Guy a calorifugé « le bas des portes des fours avec de la bourre d’amiante ». Il utilisait des « bandes d’amiante pour calorifuger les pièces fragiles », puis devait « redécalorifuger pour ouvrir les portes et récupérer les pièces des divers aciers », sur douze fours, plusieurs fois par 24 heures. Il fallait « balayer les débris d’amiante ». Un travail « sans protection » ni « formation sur les dangers de l’amiante ».

Christian a calorifugé avec de la bande d’amiante tressée « les câbles électriques, les portes de fours, les cellules transfos allumage » soumises à de hautes températures. Il remplaçait les cordons « détérioriés ou brûlés », ainsi que « les joints en amiante » situés autour du réfractaire des brûleurs et du blindage du four. Avec « grattage du vieux joint » et « soufflage des particules à l’air comprimé. » Les bleus étaient « pleins de particules d’amiante ». On les soufflait à l’air comprimé.


 

L’Andeva écrit à Michel Sapin

 

Le 31 mai, l’Andeva a écrit à Michel Sapin. Elle dénonce l’acharnement du gouvernement sortant qui a bafoué trois décisions de Justice. Elle demande au nouveau gouvernement de « lever rapidement les obstacles à une demande d’inscription pleinement légitime » en soulignant qu’il s’agit d’un « dossier emblématique, qui doit être considéré comme une priorité urgente au niveau national. » 

Elle rappelle que « sur 475 scanners, 244 ont révélé une maladie liée à l’amiante ».

Elle souligne que dans cette affaire « la direction de l’entreprise et le gouvernement ont fait preuve d’une mauvaise foi, d’un cynisme et d’un acharnement incroyables ».

« Tout cela a déjà fait beaucoup de dégâts humains parmi les salariés et risque d’en faire encore davantage si une issue n’est pas rapidement trouvée.

Il y a déjà eu 25 morts de l’amiante chez Aubert et Duval. Les salariés vivent sous l’épée de Damoclès d’une maladie grave. Beaucoup sont écœurés, tendus, angoissés. L’ambiance est détestable. Deux suicides récents contribuent encore à l’alourdir.
Les salariés d’Aubert et Duval ne peuvent ni ne doivent supporter l’épreuve d’un nouveau marathon judiciaire. »


Articles tirés du Bulletin de l’Andeva N°40 (septembre 2012)