Éric Jonckeere, le président de l’Association belge des victimes de l’amiante a grandi tout près de l’usine Eternit de Kappelle-op-den-bos en Flandre, où son père travaillait. Son père, sa mère et deux de ses frères sont morts d’un mésothéliome.
Il publiera à l’automne un livre sur cette terrible histoire familiale.
Au-delà des différences de pays et de situation sociale, ses souvenirs d’enfance ont d’évidentes ressemblances avec ceux des enfants de Casale Monferrato ou de Vitry-en-Charollais...


« En ce temps-là, nul ne se méfiait des cheminées de l’usine ni des immenses parcs de stockage des produits finis en attente d’être expédiés. Celui où étaient entreposés les millers de tuyaux ou plaques ondulées couvrait des hectares et se situait à moins de 300 mètres à vol d’oiseau de notre rue. »

« Dans les années 60, il était commun pour les mères et leurs jeunes enfants d’aller assister au déchargement des péniches amarrées au quai du canal au bout de la rue. Les poussières volaient à tout vent lorsque les sacs de jute qui contenaient l’amiante étaient extraits du ventre des bateaux.
Une équipe de débardeurs était chargée de placer ces sacs, vraiment pas hermétiques, sur des palettes, le travail se faisait à l’aide d’un gros crochet. Ces opérations successives occasionnaient le percement du sac de 5 ou 6 trous qui allaient finir par laisser fuir l’amiante. Le grutier Frans était devenu mon meilleur copain et je fus même un jour retrouvé le long du canal à observer ses manœuvres dès 7 heures du matin avec mon petit tricycle rouge. Ce fut la panique à la maison, car mon lit était vide et je m’étais éclipsé sans bruit, à demi nu ! »

«  Le bloc de roche brute gris foncé qui laissait apparaître les nervures d’amiante naturelle blanche et qui trônait fièrement sur le bureau de mon père disparut un beau jour. Ce genre de trophée se retrouvait dans chacune des maisons qu’occupaient les familles vivant dans la rue. Encore un cadeau offert par la direction et qui se révéla bien vite empoisonné ! Mes frères et moi n’avons jamais hésité à exhiber ce trophée rocheux et filandreux de la taille d’un pamplemousse, devant nos camarades de classe à l’occasion de présentations orales classiques du métier de nos pères. Je me rappelle même avoir extrait une petite quantité de fibres pour les déposer dans les mains de mes petits camarades de classe, tous surpris par leur volatilité et leur pureté incandescente. »

« Dans les années 70, des milliers de tonnes de déchets en fibrociment allaient être enfin enfouis, mais nous, les gamins en culotte courte, allions perdre notre terrain de jeu favori. Cette décharge à ciel ouvert de produits finis mais déclassés d’amiante, nous y courions souvent durant nos parties de cache-cache interminables car le site n’était ni gardé ni sécurisé. »

Eric Jonckheere

* Image de couverture de l’édition italienne du livre de Giampiero Rossi la Fibre tueuse qui sort à la rentrée en français (p. 32-33)

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°40 (septembre 2012)