Les victimes de l’amiante ne veulent pas qu’on les prive du procès pénal de leurs empoisonneurs


 

Aucun État de droit ne saurait admettre que les responsables d’une gigantesque catastrophe sanitaire ne soient pas recherchés et jugés.
Or l’instruction s’éternise faute de moyens, la juge qui la mène risque d’être remplacée et la chancellerie multiplie les obstacles. L’inquiétude grandit chez les victimes, qui attendent ce procès depuis 16 ans.

Difficultés objectives et embûches délibérées

*** Première difficulté : la disproportion entre l’ampleur des investigations nécessaires et la faiblesse des moyens attribués. L’instruction pénale de l’affaire de l’amiante ne concerne pas un dossier, mais plusieurs dizaines : Eternit, Everite, Jussieu, Ferodo-Valeo, Normed, la Sollac, la DCN, EDF, etc. A chaque fois, les faits couvrent plusieurs départements et plusieurs décennies.

La création d’un pôle de Santé publique a été un progrès. Mais les pouvoirs publics n’ont toujours pas donné à ces magistrats les moyens de conduire une instruction de qualité dans des délais raisonnable.

*** Les avocats de la défense et le parquet tirent argument de la longueur de la procédure pour demander un non lieu dans l’affaire d’Amisol. Pour des victimes qui vivent douloureusement l’attente d’un procès qui ne vient pas, cet argument est insupportable.

*** Marie-Odile Bertella-Geffroy, la juge d’instruction, pourrait quitter son poste, laissant le dossier qu’elle porte depuis une décennie à un magistrat qui devrait tout reprendre à zéro. Une loi prévoit en effet qu’un magistrat ne peut occuper un poste plus de dix ans dans la même juridiction, sauf s’il était en poste au moment du vote de la loi. C’était son cas, mais une interprétation restrictive de cette loi n’est pas à exclure, car certains rêvent de se débarrasser d’une gêneuse.

D’autres problèmes se posent sur le cadre même de la procédure.

*** Dans l’affaire de l’amiante on ne peut établir des responsabilités à partir des dossiers des seuls plaignants. Pour évaluer la gravité des faits il faut connaître l’ampleur des dégâts humains. Pour cela, il faut prendre en compte tous les malades et les morts connus. Les parties civiles ont demandé ce que les juristes appellent une saisine globale

*** Rechercher tous les responsables implique aussi de ne pas se limiter à un seul établissement ni même à une seule entreprise. Le procès de Turin l’a montré : des orientations stratégiques en matière de sécurité se prennent au niveau du groupe. Les dossiers qui sont interdépendants doivent être joints.

*** Pour l’amiante des responsabilités doivent aussi être recherchées au niveau des membres du CPA qui ont milité pour prolonger l’utilisation d’un matériau mortel.

*** Elle doit aussi être recherchée au niveau des pouvoirs publics. Les medias se sont focalisées sur Martine Aubry, mise en examen en tant que directrice des relations du travail de 1984 à 1987. Il lui et reproché d’avoir tardé à transposer en droit français une directive européenne sur la prévention du risque amiante. Force est de constater que dans l’état actuel du dossier, il n’y a pas d’éléments démontrant qu’elle aurait une responsabilité personnelle distincte de la responsabilité générale des pouvoirs publics. Le parquet demande l’annulation de sa mise en examen. Jean-François Girard et Olivier Dutheillet de Lamothe ont aussi été mis en examen (voir ci-dessous).

*** Une autre difficulté est celle de l’ancienneté des faits. S’ils ne sont pas prescrits, ils doivent être jugés. Encore faut-il que les prévenus soient encore en vie, ce qui, compte tenu de l’âge de certains, n’est pas garanti si l’instruction s’éternise.

*** Après plusieurs demandes, l’Andeva devrait rencontrer Madame Taubira, Garde des Sceaux.

Elle lui demandera que des moyens suffisants soient donnés aux juges d’instruction pour que le procès puisse commencer en 2014.

 

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Article paru dans le bulletin de l’Andeva n°41 (janvier 2013)