Pendant des années la question de l’amiante en Belgique s’est centrée sur deux dossiers emblématiques : celui du Berlaymont, un immeuble truffé d’amiante loué par l’Etat belge aux institutions européennes, et celui du procès contre Eternit engagé par la famille Jonckheere, décimée par l’amiante.
Aujourd’hui le combat de l’Abeva, l’association des victimes de l’amiante en Belgique, s’élargit à de nouveaux secteurs tels que les cheminots, les conducteurs de tramways ou les bâtiments publics. Et la bataille pour améliorer l’indemnisation des victimes par le fonds amiante a marqué un point.

Les trains

Atteint d’un mésothéliome, Daniel Cambier avait engagé avec courage une action au pénal contre la SNCB, la société des chemins de fer en Belgique. Il est décédé le 6 novembre 2013. Yolanda, son épouse, poursuit la procédure, avec maître Beauthiez, leur avocat. Une réunion de travail a eu lieu avec Allo Amiante, association cheminote de l’Andeva et maître Ledoux.

Les trams

Des retraités de la STIB - l’équivalent de la RATP en France - ont pris contact avec l’Abeva. Ils réclament un inventaire et une localisation précise de l’amiante dans les tramways et dans les dépôts.
Les derniers trams contenant de l’amiante ont cessé de circuler en 2010, mais des maladies continueront encore longtemps à se déclarer chez ceux qui ont inhalé ces poussières.
Il y a trois décès avérés connus à ce jour.
Pour régler la vitesse du tram, le conducteur utilisait un rhéostat garni d’amiante qui faisait des étincelles et de la chaleur. « Quand j’étais enfant, se souvient Eric Jonckheere, le président de l’Abeva, il y avait une arrivée d’air chaud aux deux places situées derrière le conducteur du tram. Cet air véhiculait sans doute des fibres d’amiante.  »
Il est important de savoir où se trouvait l’amiante et s’il a été enlevé, en particulier pour le personnel de maintenance et réparation.
D’autant que plusieurs rapports accablants, rédigés suite à des inspections sur le terrain, confirment le danger, avec notamment la présence d’amiante sur le sol et l’utilisation de masques inadaptés.
Ces retraités reprochent au STIB de ne pas avoir tenu de registre individuel des personnes exposées, comme ils auraient dû le faire depuis 1978.
Impossible de savoir le nombre des salariés exposés, de malades ou de personnes ayant un suivi médical ni d’en avoir la liste.
«  Ils sont décidés à faire bouger les choses en matière de prévention afin d’éviter que l’amiante en place ne provoque de nouveaux dégats humains », note Eric.
Une interpellation aura lieu à l’Assemblée début avril sur la situation à la STIB.

Les bâtiments publics

Le syndic de Bruxelles a révélé que plus d’un millier de bâtiments de la ville (casernes de pompiers, commissariats, écoles...) avaient été floqués à l’amiante. Les flocages se dégradent et tombent en lambeaux, ce qui représente un danger pour les occupants. L’Abeva demande un inventaire détaillé de ces bâtiments.

 


Les lanceurs d’alerte dans le collimateur

Si l’opinion publique belge est aujourd’hui plus sensible qu’hier au problème de l’amiante, force est de constater que, dans ce pays comme ailleurs, les lanceurs d’alerte sont victimes de mesures de rétorsion, voire de véritables persécutions.
Ce fut le cas tout récemment d’un professeur dont l’unique tort avait été de sonner l’alarme sur le risque amiante dans un établissement scolaire.
Ce fut aussi le cas d’un délégué à la Sécurité, mis au placard, isolé et poussé à la dépression.

 

« L’Abeva a obtenu que soit améliorée l’indemnisation des victimes environnementales »

 

- Qu’apporte la loi votée le 30 janvier par la Chambre  ?

Eric Jonckheere : Le Fonds amiante belge (l’AFA) indemnise les victimes professionnelles et environnementales, comme le Fiva en France.
Mais les victimes environnementales belges étaient jusqu’ici défavorisées car les frais médicaux dus à la maladie ne leur étaient pas remboursés (pour les victimes du travail, ils sont pris en charge par le Fonds maladies professionnelles).
Patrick, un voisin et ami aujourd’hui décédé, avait un mésothéliome d’origine environnementale. L’AFA lui a versé une rente mensuelle de 1620 euros (comme pour une victime du travail) mais il n’a pas remboursé sa chimiothérapie. Résultat : sa rente a été presque totalement consommée par le paiement des factures médicales !
Grâce à cette loi, les soins médicaux seront désormais pris en charge pour toutes les victimes, qu’elles soient professionnelles ou environnementales.

Dans quel contexte ce vote est-il intervenu ?

E.J. : Le directeur du Fonds Amiante venait d’annoncer 212 victimes de mésothéliome en 2012, soit 13% de plus qu’en 2012 et 25% de plus qu’en 2011. Cette annonce a causé un choc.
L’Abeva s’est étonnée que les responsables de l’AFA puissent être surpris.
L’amiante n’est pas un problème du passé. La catastrophe sanitaire reste à venir. Nous estimons d’ailleurs que les chiffres sont sous-estimés et qu’il y a en réalité près de 900 cas par an.

Pourquoi cette explosion du nombre de mésothéliomes se produit-elle maintenant ?

E.J. : Il y a à la fois une augmentation du nombre de malades et une augmentation de la visibilité sociale de cette maladie. C’est le reflet du travail d’information de l’association en direction des pneumologues et des généralistes, que nous incitons à questionner leurs patients sur les situations de travail qu’ils ont connues il y a 30, 40 voire 50 ans. Ce travail commence à porter ses fruits.

Après le vote de cette loi l’Abeva est-elle pleinement satisfaite ?

E.J. : Cette avancée ne va pas aussi loin que nous l’aurions souhaité. En Belgique les cancers du poumon, du larynx ou des ovaires ne sont pas indemnisés. Dans notre pays l’indemnisation par le Fonds amiante interdit toute action future au pénal. Les responsables bénéficient d’une immunité civile.
C’est pourquoi nous avions adressé deux requêtes au monde politique :

- l’ajout du cancer bronchopulmonaire dans la liste des maladies indemnisables,

- la levée de l’immunité du responsable de la maladie, au moins pour les victimes environnementales.

Nous n’avons pas été entendus jusqu’ici, mais nous continuerons à porter ces exigences de Justice.

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Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°45 (avril 2014)