C’est le 8 mars, journée internationale des luttes des femmes, que s’est tenue la dernière assemblée générale de l’Association de défense des victimes de l’amiante en Seine-Saint-Denis. Elle fut l’occasion d’un passionnant débat sur le vécu et les combats des femmes frappées directement ou indirectement par l’amiante.
Un débat qui montra leur détermination à mener le combat pour la Justice.

Rosa GESLIN : « On pense d’abord aux veuves et aux salariées »

Quand on parle du combat des femmes contre l’amiante, on pense d’abord aux milliers de veuves dont l’amiante a ravagé la vie, mais aussi aux femmes salariées atteintes d’une maladie liée à l’amiante. Elles ont du mal à la faire reconnaître, car elles travaillent souvent dans des bureaux ou des emplois de service qui ne sont pas spontanément associés au risque amiante.
Mais il ne faut pas non plus oublier celles qui ont été contaminées en lavant les bleus de leur mari.

Chantal Pakosz : « Nous nous battons pour un procès pénal en France »

Sylvain avait 54 ans quand il est décédé. Nous ne savions pas ce qu’était l’amiante.
Je suis allée voir l’Ardeva. J’ai participé aux marches des veuves et des victimes de Dunkerque. Toutes les trois semaines, de 2004 jusqu’à fin 2005, nous avons tourné autour du Palais de Justice et dans les rues de la ville. Ces marches m’ont beaucoup aidée. J’ai réalisé que Sylvain n’était pas le seul. L’amiante avait tué énormément de personnes. J’ai décidé de continuer.
Plus tard, nous sommes allées soutenir d’autres victimes et d’autres veuves à Turin, Bruxelles et Genève.

Aujourd’hui nous nous battons pour que se tienne le procès pénal en France.
Nous voulons que soient jugés tous ceux qui ont fait travailler nos maris au contact de l’amiante, alors qu’ils savaient que c’était dangereux.
Il n’est pas normal qu’ils ne soient pas punis. L’indemnisation est une chose, la punition en est une autre.
Mon fils a fait un témoignage qui se termine par ces mots : «  J’ai 22 ans et je n’ai plus de papa.  »
Mon mari est décédé depuis 10 ans, et je ne l’accepte toujours pas. J’ai gagné mon procès en faute inexcusable de l’employeur, mais je ne suis pas
soulagée.
Je veux ce procès pénal et j’espère que nous allons le gagner. Pour cela, nous devons être unis.
Nous avons besoin de vous tous, victimes et veuves, pour que Justice soit faite.

Colette OZOUS : «  J’ai hésité à défiler avec la photo de mon mari »

Nous étions 140 veuves quand nous avons commencé les marches en 2004. A Dunkerque, nous sommes maintenant des centaines.
J’ai longtemps hésité avant de défiler avec la photo de mon mari. Je vous assure que la première fois ce n’était pas facile. Aujourd’hui, quand nous défilons, nos maris sont avec nous. C’est important. Ils ne sont pas morts pour rien...
Après les marches, nous avons continué à nous réunir entre veuves une fois par mois. Nous y tenons beaucoup. Nous pouvons nous voir, manger ensemble. C’est important. Nous avons fait un livre avec des témoignages sur la façon dont nous avions vécu la maladie de nos maris.

Soraya Berkane : «  Je veux que Sanofi reconnaisse sa faute et s’excuse »

J’ai perdu mon papa en 2010. Il avait travaillé pendant 37 ans chez Sanofi où il a respiré de la poussière d’amiante. Il est décédé d’un cancer broncho-pulmonaire reconnu en maladie professionnelle sur le tableau 30 bis. Cette maladie l’a emporté en six mois. Nous ne nous y attendions pas.
Comme le fils de Chantal, je me suis dit : «  J’ai 30 ans, je n’ai plus de papa ». C’est dur pour ceux qui partent, mais c’est dur aussi pour ceux qui restent. Cela brise beaucoup de choses dans les rapports familiaux.
J’ai engagé une action en Justice. Sanofi nous met des bâtons dans les roues. Après leur condamnation, ils ont fait appel.
A l’audience, ils ont remis en cause l’origine professionnelle de la maladie de mon père !
Ils ont soutenu que les tuyauteries calorifugées à l’amiante passaient à l’extérieur des bâtiments, alors que des photos prouvent le contraire !
Aujourd’hui, si je me bats, ce n’est pas pour des indemnités financières. C’est pour une raison morale : je veux qu’ils reconnaissent leur faute, qu’ils s’excusent. Je ne les lâcherai pas.

Avec Serge Franceschina, nous avons médiatisé cette action en justice (presse écrite, télés, radios). J’ai alerté des ministres. Nous avons réussi à faire modifier la loi en ce qui concerne l’inopposabilité.
Je voudrais aussi mener un combat au pénal, mais il y a un délai de prescription.
Même si la douleur est là (elle sera toujours là), même si pour moi la loi ne peut pas être rétroactive, je continuerai à me battre pour la changer. Cela servira à d’autres. Plus nous serons nombreux à nous mobiliser, plus nous aurons de chances d’y arriver.

Myriam Fabre : «  Wanner a contaminé deux générations dans notre famille  »

Mon grand-père était projeteur d’amiante chez Wanner Isofi. Avec une sorte de gros canon, il projetait un mélange de poussière d’amiante et de colle pour faire du flocage.
A l’époque, l’entreprise ne lavait pas les bleus de travail. Il rentrait à la maison avec ses bleus blanchis par la poussière d’amiante. Il en avait partout : dans les cheveux, dans le nez… Ma grand-mère lavait ses bleus.
Ma mère, qui était gamine à l’époque, lui sautait dans les bras quand il rentrait à la maison...
Mon grand-père a d’abord eu une asbestose, puis un cancer du poumon qui l’a emporté. Ma mère a été profondément touchée par la mort de son père. Elle était très proche de lui. Elle avait, elle aussi, trente ans quand il est parti. Trente ans après, elle avait encore des crises de larmes quand elle pensait à lui. Ma grand-mère a été, elle aussi, profondément touchée par la mort de son mari. Elle n’est pas décédée de l’amiante, mais nous avons appris après son décès qu’elle avait des plaques pleurales. Elle ne nous l’avait jamais dit...

Plus tard, nous avons appris que ma mère, elle aussi, avait de l’amiante dans les poumons. C’était la troisième personne du même foyer contaminée par l’amiante ! Elle a fait reconnaître auprès du Fiva sa maladie et celle de sa maman et elle a engagé une action en faute inexcusable de l’employeur pour le décès de son papa. Wanner a été condamné.
Dès années plus tard, un mésothéliome s’est déclaré chez elle. Marqués par le décès de mon papy, nous avons tous très mal vécu l’annonce d’une maladie dont nous connaissions l’issue. Ma mère a été marquée moralement et physiquement par ce cancer. Elle a saisi le Fiva avec une seule idée en tête : faire payer Wanner au final.
Le Fiva a laissé traîner. Elle est décédée de son mésothéliome en 2011, sans savoir si sa demande serait acceptée.
A son décès, j’ai repris le dossier. Le Fiva nous a indemnisés. La dernière étape, c’est de faire payer l’employeur, en application de l’article 1384 du Code civil, sur la responsabilité des «  choses dont on a la garde » :  la poussière d’amiante et les bleus.
Cette action est très importante pour moi, parce que c’était la volonté de ma mère et parce que je suis personnellement touchée. Wanner a détruit deux générations dans notre famille. Il doit payer. C’est une action que nous commençons. Je ne lâcherai pas.

Rosa Geslin : «  Les cas de plusieurs femmes atteintes d’un mésothéliome  »

Le mésothéliome est la preuve évidente d’une exposition à l’amiante.
C’est une maladie rare, mais dans notre association nous en avons beaucoup. J’évoquerai plusieurs cas de femmes atteintes d’un mésothéliome :

- Monique travaillait chez Vieuxmaire au Raincy. Elle coupait des tissus en amiante pour faire des vêtements anti-feu pour les pompiers. Dans cette usine, l’amiante était la matière première.
- Marie-Thérèse, épouse d’un mécanicien de l’arsenal de Brest, a lavé ses bleus de travail.
- Hachemia habitait à 600 mètres du CMMP, une usine qui broyait l’amiante et répandait des poussières sur tout le voisinage, à Aulnay-sous-Bois.
- Akila avait été femme de chambre dans un hôtel vétuste où elle descendait le linge sale dans les sous-sols, puis hôtesse d’accueil dans un immeuble où des ouvriers avaient fait des travaux avec beaucoup de poussière. Nous n’avons pas pu retrouver de preuves précises de son exposition professionnelle. Elle a pourtant eu un mésothéliome et le mésothéliome, c’est l’amiante.
- Claude a été professeur d’anglais dans un vieil établissement scolaire à Saint-Ouen où il y avait de l’amiante.
- Jeannine a travaillé dans un bureau à l’Alstom, où il y avait beaucoup d’amiante dans les ateliers...

Il est bien difficile de faire reconnaître une maladie professionnelle quand on travaille dans une école ou un bureau, sans être directement au contact de l’amiante.
Je le dis en connaissance de cause, car j’ai travaillé pendant 32 ans à la Sécurité sociale où j’étais inspectrice pour les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Emilie Counil : « Beaucoup de femmes ont été exposées à un ou plusieurs cancérogènes »

J’ai découvert l’ampleur de la catastrophe humaine et sanitaire de l’amiante en travaillant en tant qu’épidémiologiste de terrain pour l’Institut de veille sanitaire sur le cas du CMMP d’Aulnay-sous-Bois.
J’ai rencontré des familles, consulté les archives des associations (le collectif des riverains et victimes du CMMP, l’Addeva 93, pour ne citer qu’elles). J’ai ainsi découvert que des femmes, avaient été exposées dans l’enfance par le simple fait d’habiter à côté d’une usine d’amiante ou par le contact avec les bleus de travail des parents et qu’à l’âge adulte elles avaient pu être exposées en lavant des bleus ou par une activité professionnelle les exposant de façon directe mais aussi indirecte à l’amiante (par exemple en présence de flocages d’amiante dans les locaux).

Retrouver toutes ces expositions est une tâche complexe. Un questionnaire standardisé avec des questions fermées ne permet pas de retracer ces histoires individuelles. C’est en repartant de l’expérience propre de chacun, de son vécu dans tous les aspects de la vie, en laissant une parole suffisamment libre qu’on peut les reconstituer, comme votre association le fait dans ses enquêtes auprès des familles.
Le Giscop est une équipe de recherche-action, qui est active en Seine-Saint-Denis depuis l’année 2002.
Nous travaillons à rendre visibles des situations d’exposition à des cancérogènes qui ont été utilisés et continuent de l’être (pas seulement l’amiante). Avec l’aide des patients atteints de cancers (surtout le poumon) et de leurs familles nous retraçons des histoires de travail dont on peut extraire de l’information sur les expositions.
Pour obtenir réparation, il faut produire des preuves de l’exposition et même des preuves du travail, puisque seules les périodes d’activité professionnelle déclarées sont prises en compte par l’assurance maladie.

Nous travaillons en liaison étroite avec les services hospitaliers du département (Avicenne, Robert Ballanger, Montfermeil) et depuis plus récemment avec la fédération d’urologie du 93 (pour les cancers du rein et de la vessie d’origine professionnelle).
Voici quelques résultats du travail réalisé depuis une dizaine d’années :

- 20% des personnes qui ont souhaité participer à notre enquête sont des femmes. C’est un nombre important.
- Au moment du diagnostic, elles sont en général plus jeunes que les hommes qui participent à notre enquête. La proportion des moins de 50 ans à la survenue de la maladie est plus élevée, avec malheureusement des stades tout aussi avancés que les hommes, et en particulier avec bien souvent la présence de métastases.
- Les deux tiers de ces femmes ont travaillé dans les services, un tiers dans l’industrie, un quart sur des postes de travail ouvrier. Près des deux tiers ont été exposées à un ou plusieurs cancérogènes à un moment de leur carrière professionnelle.
- L’amiante est le premier cancérogène retrouvé. Les mobilisations auxquelles vous participez l’ont rendu plus visible que d’autres cancérogènes qui ont pourtant été très présents et le demeurent. Il est moins difficile de retrouver des expositions professionnelles à l’amiante qu’au benzène, au cadmium, aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) ou aux poussières de bois.
- Une patiente sur dix a été exposée au cours de sa vie professionnelle à au moins trois cancérogènes différents. Cette multiplicité d’expositions n’est pas prise en compte pour la reconnaissance d’une maladie professionnelle. Les tableaux de maladie professionnelle ne prennent en compte qu’une exposition avec des critères très stricts. Une personne exposée à de multiples expositions dont la durée est inférieure aux critères médico-légaux sera exclue de ce droit à réparation. Ce qui contribue à l’invisibilité sociale du problème et donc à l’absence de prévention.
- Un quart des femmes ayant un cancer broncho-pulmonaire pouvaient déclarer une maladie professionnelle au vu des expositions retrouvées par cette enquête (la majorité pour une exposition à l’amiante d’une durée de 10 ans ou plus).
- Les femmes déclarent moins souvent que les hommes et accèdent moins souvent à la reconnaissance d’une maladie professionnelle.

Je citerai le cas d’une dame atteinte d’un cancer bronchopulmonaire. Elle avait travaillé toute sa vie en tant qu’employée et n’avait jamais fumé. Dans son premier emploi, chez Luterma, au Blanc Mesnil, elle était employée des services comptables. Elle passait dans les ateliers pour récupérer des informations sur les primes auprès des contremaîtres. Elle a été ainsi exposée aux poussières de bois, certes beaucoup moins que ceux qui travaillaient dans l’atelier, mais de façon régulière. Dans son deuxième emploi, elle a été aide-comptable chez Bendix. Son bureau donnait directement sur les ateliers avec la porte ouverte. Elle faisait des allers-retours. Elle devait passer par les ateliers pour aller au réfectoire. Elle y a été exposée à l’amiante et au tabagisme passif par les collègues qui fumaient quotidiennement en sa présence jusqu’à l’interdiction par la loi Evin.
Je vous remercie pour ce partage et je vous souhaite beaucoup de courage pour continuer ce combat.

Rosa Geslin : « L’importance du travail de l’association »

Je voudrais souligner l’importance du travail de l’association. En 1978, mon père a eu un cancer bronchopulmonaire. Il fumait un peu. Les médecins ne se sont pas posé de question et ne l’ont jamais interrogé sur son activité professionnelle. Mais lui en parlait. Il m’avait dit que son atelier était plein de fumées. Il était convaincu que sa maladie était d’origine professionnelle. Il était chaudronnier, monteur en chauffage et ventilation. Il travaillait dans l’amiante sans savoir ses dangers. Il disait que c’était un produit miracle. Il aimait l’amiante ! Il a même dû en rapporter à la maison... A l’époque, je travaillais à la Sécurité sociale. J’enquêtais sur des maladies professionnelles. Mais, quand il m’a dit : « Non, ce n’est pas parce que j’ai fumé, c’est mon travail », je n’ai pas réagi. On ne parlait pas beaucoup de l’amiante à cette époque. Il est décédé de sa maladie en 1986.

J’étais déléguée CGT à la Sécurité sociale. J’ai connu l’Addeva 93. à ma retraite, je suis devenue bénévole. J’ai travaillé sur des dossiers de victimes de l’amiante et j’ai repensé à la maladie de mon père. Je me suis fait beaucoup de reproches de n’avoir pas réagi. J’en ai parlé avec Alain Bobbio. Une déclaration était encore possible. J’ai été très fière de pouvoir faire reconnaître, 25 ans après, la maladie professionnelle de mon père.

 

 


Article paru dans le Bulletin de l’Andeva n°45 (avril 2014)