Vous êtes ici : Accueil » L’ANDEVA » Le Bulletin de l’Andeva » Numéro 45 (avril 2014)
UN DOCUMENT ACCABLANTCertains chefs d’entreprises prétendent aujourd’hui qu’ils ignoraient les dangers de l’amiante il y a 20 ans. Voici ce qu’on pouvait lire le 27 mai 1914, dans le journal de Jean Jaurès. C’était il y a un siècle... CE QU’IL FAUT FAIRE TOUT DE SUITEOn nous fit récemment parvenir des détails si troublants sur les dangers mortels auxquels une industrie très prospère expose les ouvriers et les ouvrières qu’elle emploie que nous voulûmes, avant de les rapporter ici, en obtenir la vérification minutieuse. QU’EST-CE QUE L’AMIANTE ?L’amiante est une substance minérale - silicate de magnésie - qui offre ces particularités d’être incombustible et de pouvoir aisément se filer. LES MORTELLES POUSSIÈRESLa pierre d’amiante dont la Sibérie fournit la plus grosse quantité, mais que l’on trouve aussi en Savoie, en Corse et dans les Pyrénées est broyée par le moyen de meules verticales qui tournent autour d’un pivot. La meule écrase les pierres et sépare les filaments bons à tisser. On procède ensuite, en des tambours ad hoc, au battage qui a pour but de séparer les fibres d’amiante des matières terreuses qui les entourent. Le cardage réunit les fibres isolées en un long ruban ininterrompu ; le filage étire le ruban en fils ; le tissage transforme les fils en toile. Les déchets du cardage servent à la fabrication du carton d’amiante : une pâte faite de poussière d’amiante, d’eau et de colle passe sur des rouleaux et sur des toiles à tamis comme la pâte à papier ordinaire. UNE HÉCATOMBE D’OUVRIERSEt il avait trop raison. Ces poussières sont pointues et piquantes, doublement nocives, puisqu’elles agissent a la fois comme des poussières textiles et comme des poussieres minérales, comme ces redoutables particules de grès ou de silex qu’aspirent les carriers et les meuliers et dont ils meurent ; leurs arêtes coupantes piquent les muqueuses, les enflamment, les perforent : chaque grain devient le centre d’un petit abcès. Les organes respiratoires sont vite détruits. Et la mort fait de la place aux jeunes. Les hommes peuvent tenir jusqu’a cinq ans, les femmes ne durent guère que deux ans, dans ces ateliers où les poussières s’agglomèrent et forment une sorte de feutre épais sur les charpentes et sur toutes les parties fixes. II y a des usines où les meules broient à nu l’amiante : aucun ventilateur, aucun tuyau, aucune enveloppe ne sont installés pour capter les poussières. DES MESURES D’URGENCELes inspecteurs du travail ne pouvaient manquer d’être frappés du caractère meurtrier qu’offre une telle industrie. Ils ont obtenu de sensibles améliorations dans les usines. Sur leurs instances, les machines productrices de poussières ont été ventilées. Mais c’est là un insuffisant palliatif. II taut qu’une règlementation spéciale arme le service de l‘inspection et lui permette d’exiger un ensemble de mesures qui sauveront la vie des malheureux travailleurs pour qui le travail est un supplice prolongé. Car avant la délivrance finale, ils connaissent les mille misères des petites plaies envenimées par le contact du malfaisant produit : toute écorchure, toute piqûre, si insignifiante qu’elle soit, s’envenime si des précautions minutieuses ne sont prises sur-le-champ. La piqûre d’amiante bleu s’infecte toujours et ce sont les phlegmons, les anthrax... II faut : Toutes ces mesures devront être imposées par une réglementation spéciale comme celle qui régit l’industrie du plomb, du mercure, etc. L’industrie de l’amiante n’est pas moins meurtrière. Il faut la règlementer d’urgence. Si, contre toute vraisemblance, cette réglementation tardait, se trouveraient au mois cent deux députés pour la réclamer. L.-M. BONNEFF |