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Bitume = cancer
Rencontre avec maître Jean-Jacques RinckJosé épandait le goudron sur les routes. Il est mort d’un cancer à 56 ans. Le 10 mai, le Tass de Bourg-en-Bresse a reconnu la faute inexcusable d’Eurovia. Léa Veinberg a recueilli les explications de l’avocat de sa famille et le témoignage de son fils. Qu’est-il arrivé à Monsieur José-Francisco Serrano Andrade ? Il était ouvrier épandeur pour la société Eurovia, filiale du groupe Vinci, un géant du BTP en matière de route et d’autoroute. À l’arrière d’énormes machines qui répandent le goudron, il régulait le flux du liquide et des graviers. En 2006, il a eu un bouton suintant sur le nez. Le dermatologue qu’il a consulté a diagnostiqué un cancer de la peau. Ce cancer a été reconnu en maladie professionnelle par le CRRMP le 20 mars 2007. Il est décédé des suites de ce cancer, le 3 juillet 2008. Son épouse s’était arrêtée de travailler pour s’occuper de lui ; ses trois enfants ont assisté à l’agonie de leur père dans d’affreuses souffrances. Tous lui avaient promis de faire en sorte que la responsabilité de l’entreprise soit avérée dans la maladie professionnelle qu’il avait contractée. Il leur a fallu du courage pour venir me voir, raconter et revivre encore une fois la mort de leur père et mari. Cette affaire du bitume ne ressemble-t-elle pas beaucoup à celle de l’amiante ? Effectivement, comme pour l’amiante, nous avons engagé une procédure pour faute inexcusable : l’employeur avait manqué à des règles élémentaires de sécurité et de vigilance. Je me suis appuyé sur deux arrêts rendus le 11 avril 2002 et le 3 avril 2003, obtenus grâce à l’affaire de l’amiante qui imposent aux employeurs une obligation de résultats. Nous avons saisi le Tribunal des affaires sociales (Tass) de Bourg en Bresse. Monsieur José-Francisco Serrano Andrade étant décédé, c’était à la famille de prouver la faute de l’employeur. C’était une difficulté, car elle n’avait pas de liens avec l’entreprise. Nous avons eu la chance que le médecin traitant de la victime soit le professeur Luc Thomas, une sommité internationale en matière de dermatologie. Il a attesté que la maladie et la mort de mon client étaient dues à l’inhalation des fumées cancérigènes issues du bitume. Comment l’entreprise a-t-elle réagi ? Elle n’a pas reconnu les faits. Elle a soutenu que le cancer de José-Francisco Serrano Andrade était dû à son exposition au soleil. Mais le tribunal a établi que sa maladie était bien due au bitume, le soleil n’étant qu’un facteur aggravant. Il a reconnu la faute inexcusable d’Eurovia le 10 mai dernier. Aujourd’hui encore, les seules mesures de protection que l’on propose aux ouvriers sont une casquette et une paire de gants… En 2003 la CRAM de Bretagne avait fait un rapport sur la dangerosité du bitume. Ce produit, fabriqué avec les fonds de cuves de raffinage de pétrole, est extrêmement toxique. Il était difficile d’ignorer sa dangerosité. Or, au lieu d’être détruit, il est revendu, avec des mises en garde, pour fabriquer des routes. Lorsqu’il rentrait chez lui, José-Francisco Serrano Andrade était noir comme un charbonnier. Il devait utiliser du pétrole pour pouvoir se nettoyer. Comment expliquer que personne d’autre n’ait entamé d’action en justice ? Ces métiers touchent des ouvriers du bâtiment, souvent originaires du Maghreb ou d’Afrique. Ils sont isolés socialement et culturellement. Ce sont souvent des travailleurs en CDD ou même des saisonniers. Ils n’ont pas les moyens de se plaindre et le plus souvent rentrent mourir chez eux. On ne dispose d’aucune statistique. Mais, déjà le combat de mon client et de sa famille a porté ses fruits et plusieurs dizaines de familles m’ont contacté. En France, les « class action », les recours collectifs, sont interdits. Ce sera donc à chaque fois des actions individuelles. Aujourd’hui, L’entreprise va faire appel, mais ce sera l’occasion de remettre l’affaire sur la place publique. Qu’en est-il ailleurs dans le monde ? Aux États-Unis, en Allemagne le bitume a été classé dans la catégorie des produits hautement toxiques. Ces pays fabriquent les routes avec du ciment ou des agrégats. Témoignage de Luis Serrano Andrade (fils de la victime) : "Notre avocat a tout de suite fait le parallèle avec l’affaire de l’amiante« Lorsqu’il a su que sa maladie était liée à son travail et au produit qu’il manipulait, le bitume, mon papa nous a demandé que l’Entreprise qui l’avait employé reconnaisse ses torts. Pour lui, mais aussi pour tous les autres qui avaient pu ou étaient encore exposés aux mêmes produits toxiques. Mon père était directement exposé aux fumées de bitume. Il régulait le débit du bitume et des graviers, ensuite, l’opération a été automatisée. Étrangement d’ailleurs, à partir du moment où la maladie de mon père a été reconnue en maladie professionnelle, son poste de travail a été supprimé. Même si c’est révoltant, nous nous doutions que l’entreprise ferait appel. L’enjeu, comme pour l’amiante, est énorme. Nous continuons le combat pour sa mémoire Je sais ce que mon père a vécu. Il a connu plus d’un an de souffrances atroces. Il a travaillé plus de 22 ans dans cette entreprise, personne n’a pris de ses nouvelles. Il est mort, il venait d’avoir 56 ans. Il n’a pas eu droit à sa retraite. Nous continuons le combat, pour lui, en sa mémoire ; même si nous n’avons pas les mêmes moyens financiers que la partie adverse. Nous n’avons plus rien à perdre, ce qu’il y avait à perdre, nous l’avons déjà perdu. » Cancérogènes : faute inexcusable reconnue :Les victimes de l’amiante ont ouvert la voie : des employeurs sont condamnés pour des maladies professionnelles causées par d’autres cancérogènes. Voici quelques cas communiqués par maîtres François Lafforgue et Michel Ledoux. ALSTHOM ACERGY ANGOLA NAPHTACHIMIE et INEOS FRANCES DDE DU FINISTERE SOLLAC MEDITERRANEE SOCOBRA RECHERCHES Articles tirés du Bulletin de l’Andeva N°33 (août 2010) |